Une foutue soirée

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Participation au concours 1 de LivChiaraDevalgent

CONSIGNE : Aloïs rentre chez iel à pied, mais iel entend un miaulement dans la rue. Elie, qui habite dans cette rue, descend ce soir-là car cela fait plusieurs nuits qu'iel entend des miaulements.

Encore ce foutu chat.

Le miaulement déchirait l'atmosphère paisible dans laquelle Elie était lovée. Décidément, il n'avait pas son pareil pour gâcher l'ambiance. La jeune femme s'extirpa des draps douillets de son lit, déposa son iPhone dernier cri sur sa table de nuit. Irritée d'être dérangée dans son interminable scroll sur Tiktok, elle songea un instant à filmer ce miaulement insupportable pour montrer à quel point la vie avait une dent contre elle. Après tout, on voyait des tonnes de vidéos de chats mignons, mais parlait-on du revers de la médaille ?

Il manquerait plus que ce soit un foutu chat noir. Happy Halloween.

Éclairée par l'iPhone, Elie balaya la chambre du faisceau de sa lampe torche. Une glace murale, composée de plusieurs carreaux collés les uns aux autres, renvoya sa lumière, ce qui éblouit Elie quelques instants.

Foutu miroir.

Les traces de punaise et les trous dans le mur étaient recouverts par un énorme poster en papier glacé, représentant un jeu vidéo. Elie détestait ce poster, il était l'incarnation de tout ce qu'elle détestait chez le cousin qui lui avait offert - son côté geek, qui aimait les jeux de guerre, de tirs, bref, la castagne et le sang.

Foutu poster.

La jeune femme quitta la chambre, les draps laissés en vrac sur le lit, et rejoignit le vestibule d'un pas traînant. Elle enfila ses bottines neuves, une écharpe qui lui servait plus de plaid qu'autre chose, ainsi qu'une veste en cuir doublée.

C'est que ça caille dans ce foutu appartement.

Bien sûr, elle ne bénéficiait pas de la chaleur des autres appartements, étant donné qu'elle était au rez-de-chaussée.

Elie sortit de chez elle en frissonnant. L'air était frais, la brise glaciale. Les lampadaires commençaient à sérieusement fatiguer. Ils éclairaient par intermittences, d'un jaune terne - on ne pouvait pas compter dessus pour voir plus loin que le bout de son nez. Certains étaient même envahis par les toiles d'araignée. Elie ne trouvait de la chaleur qu'en l'étui tout doux de son portable, composé d'une espèce de fourrure rose bonbon. Ça suffisait à la calmer dans un environnement glacial.

Foutu éclairage.

Au bout de l'impasse, qui n'était plus éclairée, un petit chemin pour piétons s'enfonçait dans l'obscurité. Plus Elie avançait vers les miaulements, plus elle avait l'impression de traverser des ténèbres opaques. Lorsqu'enfin elle aperçut le chat, elle constata avec ravissement qu'il était blanc comme neige.

« Bonjour... »

Elie sursauta. Elle n'avait pas vu la silhouette, rachitique, qui se tenait près de l'animal. Engoncée dans le noir, elle avait reculé à l'approche d'Elie. Sa voix caverneuse semblait venir de très loin. La silhouette articula, d'un ton traînant :

« Excusez-moi, je ne voulais pas... Ce chat a été abandonné il y a quelques jours... Je crois que je l'effraie. »

Interloquée, Elie braqua sur la silhouette le faisceau de sa lampe torche. 

Ce qu'elle y vit la terrifia tant que son téléphone glissa de ses mains comme une savonnette et tomba au sol dans un bruit mat.

« Mais... Mais... Vous êtes un squelette ! » s'exclama-t-elle en reculant vivement.

Ça y est. Elle devenait complètement cinglée.

Un horripilant cliquetis émana de la silhouette, qui se grattait l'arrière du crâne. Elle grommela :

« Ah ? Bon... »

La réaction du squelette dissuada Elie de s'enfuir. Peut-être allait-il lui tomber dessus ? Peut-être devait-elle rester immobile.

« C'est tout l'effet que ça vous fait ? » s'indigna la jeune femme.

Le squelette tourna son regard vers elle. Le provoquer, quelle riche idée.

« On n'enseigne plus le respect aux jeunes, à notre époque, soupira le squelette. Reprenons du début, vous voulez bien ? Appelez-moi Aloïs. Je suis sortie d'une tombe... c'est un peu ma maison, vous savez. Après une escapade nocturne, pour éviter d'effrayer les gens en pleine journée, j'ai entendu ce chat comme vous, qui m'a légèrement agacée. Donc je suis venue voir, mais ça n'a pas arrangé les choses. » elle observa le chat qui, pris entre la morte et la vivante, ne savait plus où donner de la tête. « Bon, je me suis présentée, parlez-moi un peu de vous maintenant.

— Euh... » 

Bien sûr. Pourquoi pas ? Après tout, ce n'était pas comme si elle faisait face à une aberration.

« Appelez-moi Elie. J'habite dans le coin, j'entends le chat depuis plusieurs nuits, ça m'empêche de dormir. Et, hum, juste une question... Comment vous faites pour voir... vu que vous n'avez plus d'yeux ?

— Je suis aveugle. Enfin, de mon vivant, je l'étais déjà.

— Ah. »

Foutu squelette.

« Bon, eh bien, écoutez, on va dire que ça passe pour cette fois, mais à l'avenir vous arrêtez d'emmerder le chat, d'accord ?

— Je crois que vous ne comprenez pas bien. Si je suis vraiment un squelette, quoi que je fasse, j'enquiquinerai quelqu'un. Et ça m'ennuie vraiment, vous savez. Je suis humaine avant toute chose. Certes, je n'ai même plus de peau sur mes os, mais comprenez : c'est de la discrimination, que de juger les gens sur leur apparence. Vous ne croyez pas ?

— Euh... »

Elie se gratta la tête à son tour. Que pouvait-elle bien répondre à ça ?

« Donc je vous le demande, reprit Aloïs comme si de rien n'était. Qu'est-ce que vous me suggérez, au juste, Elie ? C'est que, comme je peux me mouvoir, parler, interagir, j'ai bien envie d'en profiter.

— Ben... Un squelette, c'est censé rester dans la terre. »

Aloïs soupira. Sa main voulut glisser d'agacement sur son visage comme s'il y restait de la peau, mais elle poussa un petit cri en rencontrant les os.

« Aïe. Bon... Au cas où vous ne l'auriez pas compris, je suis sortie d'une tombe. Mais je n'ai pas dit que je sortais de sous la terre. »

Elie n'avait pas remarqué ce détail, qu'elle aurait jugé de toute façon superficiel dans des circonstances normales. 

Enfin, si dans ce genre de situation, il y avait des circonstances normales.

« OK, et ... Attendez, comment ça ?

— Je crois que quelqu'un a profané ma tombe. Ça a dû... me réveiller. Si je retrouve ces gredins, je leur colle mon pied dans le fondement. Nous, les morts, sommes censés nous reposer ! Et non pas se retrouver dehors à cause de minables, qui trouvent drôle d'exhumer un foutu cercueil. »

Foutu cercueil, c'est bien dit.

« Madame le squel... Aloïs, je suis d'accord avec vous, acquiesça Elie. Il faut retrouver ces cons et leur faire une frousse monumentale. J'en suis ! »

(nombre de mots : 1098)


Histoires à la VoléeWhere stories live. Discover now