La Flamme blanche - Partie I

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            Bien heureusement, Elina n'était pas du genre à sous-estimer ses adversaires, et ses amis non plus. Le visage éthéré d'une princesse aux yeux violets et non cramoisis s'imposa à elle. Elle avait toujours su de quoi Lévana était capable et qui elle était. Elle regrettait à présent de n'avoir pas eu le courage de l'avouer à son amie. Les choses auraient peut-être été différentes, avec son aide, Lévana, non, Era, aurait peut-être accepté de révéler son secret aux joyaux d'Émeraude. Mais c'était trop tard, et à présent, son amie était en danger, surement perdue à jamais. Elle chassa cette pensée écrasante de désespoir de son esprit et se concentra sur ses pas.

            Alors qu'elle s'approchait d'une partie du Marché parsemé d'habitations en bois, elle sentit soudain une présence persistante derrière elle. Bien qu'elle soit entourée de millier de personnes, elle se sentit soudain suivie.

            Elle bifurqua subitement à droite, et fit volte-face.

            Personne.

            Elle approcha une de ses mains de sa hanche, là où sa dague la plus tranchante était attachée.

            -Vous n'aurez pas besoin de ça, Princesse d'Émeraude, susurra une voix mielleuse.

            Elle se retourna, et laissa échapper un juron.

            -Que de vilains mots, s'esclaffa la voix. Vos cousins ne vous ont-ils pas appris la politesse ?

            -Qu'est-ce que vous fichez ici, Lorenzo ? demanda-t-elle, lasse.

            Il sourit, dévoilant une rangée de dents parfaitement alignées.

            Bien trop blanches pour un maudit pirate, pensa Elina.

            Il décolla son dos du mur où il était posté jusque-là.

            Il avait certainement dû passer par les toits pour la surprendre, elle aurait dû être plus vigilante. Elina Sarkis ne se faisait jamais surprendre ainsi et certainement pas par un vaurien tel que lui.

            Il fit quelques pas lents vers elle, Elina ne bougeait pas, mais se préparait déjà à bondir. Lorenzo était un redoutable combattant, il avait une force étonnante pour quelqu'un de sa corpulence, mais ce qui le rendait si doué, c'était son esprit rusé et - elle devait bien l'avouer - brillant.

            Elle savait qui était Lorenzo, elle savait ce qu'il avait fait à son cousin, Gabriel. Comme il avait froidement brisé son cœur. Comme Seth, elle détestait le bandit.

            Lorsqu'il fut à un mètre d'elle, il s'arrêta, la détailla de son regard aussi sombre qu'une nuit sans lune. Ses yeux, soulignés d'un trait de khôl, pétillaient de malice.

            Elle le haïssait. Son sourire charmeur, ses boucles noires, sa peau couleur de sable brun et ses doigts fin et manucuré ne lui inspiraient que pitié.

            Cela faisait des années que cet individu sans nom et sans dignité se moquait de Gabriel, des années qu'il lui empoisonnait l'existence. Et des années qu'il volait, trichait, et tuait pour son propre compte. Et comme si cela ne suffisait pas, il avait aidé Lévana à retourner auprès des griffes des Ivoiriens. Il ne méritait pas le Saphir à son oreille.

            -Allez-vous en Lorenzo, avant que je vous arrache la langue et les yeux, siffla-t-elle.

            -Les Sarkis ne savent que menacer, c'est bien dommage...

            Il avait à peine fini sa phrase qu'elle fut sur lui, son corps collé contre le sien et une dague sous sa gorge.

            Elle le regarda avec toute la haine dont elle était capable, toute la rancœur qu'elle possédait au fond d'elle.

            Il ne souriait pas.

            Tant mieux, pensa-t-elle. Sinon, elle l'aurait égorgée.

            -Vous êtes en colère, Elina Sarkis. Mais vous vous trompez de cible.

            -Je sais ce que vous avez fait, cracha-t-elle. Et je sais que si Lévana est entre leurs mains, c'est par votre faute.

            Un instant elle crut voir son masque d'ironie permanente se fissurer.

            -Je voulais emmener Era loin, très loin, de vous tous.

            Elina ne put s'empêcher de ricaner.

            -Ah oui ? On voit le résultat !

            -C'est elle qui m'a demandé de la laisser les rejoindre.

            -Et donc ? Vous êtes son petit chien ? Vous acquiescez à toutes ses demandes ?

            Lorenzo fronça les sourcils. C'était la première fois qu'elle voyait une once d'agacement sur son beau visage.

            -Je ne cherche pas à me justifier, j'ai fait ce qu'il fallait. Mais je sais très bien que vous ne pouvez comprendre. La stupidité est un trait de famille chez vous, apparemment ...

            Elina augmenta la pression de la dague sur sa gorge. Lorenzo ne bougea pas.

            -Vous saviez qui elle était, n'est-ce pas ? dit-il d'une voix douce.

            Surprise, elle le relâcha.        

            -Alors vous saviez, lâcha-t-elle dans un souffle.

             Il sourit.

            -Comment ne pas le voir ? Les yeux ne mentent jamais. Mais le commun des mortels ne sait pas voir ce qui est juste sous leur nez. Mais vous n'êtes pas le commun des mortels, Elina Sarkis, je me trompe ?

            Elle ne lui répondit pas.

            Elle commençait à prendre conscience du danger qu'avait encouru Lévana. Si Lorenzo avait deviné, qui d'autres encore ?

            -Personne, répondit-il, comme s'il avait lu dans ses pensées. Personne ne sait. Sauf peut-être...

            Il regarda un point quelque part dans le ciel, puis sourit.

            Il est complètement ravagé, pensa Elina.

            -Je peux vous aider, déclara-t-il en baissant les yeux vers elle.

            -M'aider à quoi ?

            -À les trouver.

            -Qui ?

            -Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi. Je sais ce que vous cherchez. Et je peux vous aider.

            -Hors de question. Adieu.

            Sur ces mots, elle se détourna et s'apprêtait à quitter la petite ruelle.

            -Lors de sa première venue au Marche des Nations, Era s'est vu offert un cadeau par une vendeuse, résonna la voix de Lorenzo derrière elle.

            Elle s'arrêta net.

            -Étrange, n'est-ce pas ? continua-t-il. Et peu commun, surtout.

            Elina ne demanda pas comment il connaissait cette anecdote. C'était inutile. Lorenzo ne lui dirait rien.

            -Elle a aussi raconté que la femme l'avait appelé « l'Ivoirienne », ne put s'empêcher de souffler Elina en se retournant vers Lorenzo.          

            Il sourit et haussa un sourcil.

            -Je pense que c'est par elle que vous devez commencer votre quête, Princesse d'Émeraude. Et c'est une chance pour vous : je sais où la trouver.

La Tour d'Ivoire - Tome 4Where stories live. Discover now