Chapitre 32 - Retour au bercail

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— C'est vrai, fais-je sans chercher à démentir. Mais je ne suis pas une selcyne, je suis toujours moi. Lyna Ferrat, née le dix-huit avril 2265 à Amsterdam. Médecin et chirurgienne en formation, survivante de Faraday-4 à Hanoï.

— Très bien... tant mieux.

— Tous les selcyns ne sont pas d'affreux sociopathes.

Sam me dévisage avec attention en plissant les yeux. Après un court silence, elle lâche :

— Et tous les humains ne sont pas d'admirables individus.

Je me tourne brusquement vers mon interlocutrice, surprise. Elle n'a pas tort, mais je ne m'attendais pas à un tel aveu sorti de nulle part. Ses joues s'empourprent, me semble-t-il, et elle commence à reculer en baragouinant des excuses.

— Reste un peu ! m'écrié-je. On peut se tutoyer ?

— Euh... je ne sais pas si j'y suis autorisée.

— Avec la journée qui m'attend, j'aurais besoin d'énergie. Je veux bien que tu m'emmènes au réfectoire, finalement.

Sam me conduit jusqu'en salle de restauration. Je constate que Faraday-23 est bâtie sur le même modèle que Faraday-4, même si j'ai l'impression que la base est plus grande encore que celle d'Hanoï. Couloir gris interminable, tuyauterie apparente, ligne de lumière éblouissante, pour ne pas dire agressive, surtout après avoir vécu avec les éclairages selcyns pendant trois mois. Mêmes escaliers métalliques, mêmes ascenseurs ouverts. Mêmes messages d'avertissement placardés aux murs. À présent, tout me semble sale, désordonné, rustique. Je suis pourtant certaine que Faraday-4 n'était pas mieux. J'avance en direction de la machine à café, délaissant la compagnie de ma guide. Tout le monde se retourne sur mon passage, et ce n'est certainement pas pour mon sens du style. Peu importe, je suis bien trop soucieuse pour en être déstabilisée. Quand tous leurs gradés m'auront interrogée, ils me ramèneront auprès de Mei. À moins qu'ils manquent de médecins et qu'ils me forcent à rester, ce ne serait vraiment pas de chance.

Je suis encore en train de siroter un mauvais substitut de café quand une ombre se dresse au-dessus de moi. Je lève les yeux et me retrouve dominée par le Général Hassan. C'est un homme de haute stature, plus jeune que Lee, bien qu'il soit probable que sa peau ébène dépourvue de rides m'induise en erreur. À vue de nez, je dirais entre trente-cinq et quarante ans. Il est rasé de près et sent tellement la lotion que les yeux me piquent. Je devine un crâne chauve sous son béret rouge. Son sourire si chaleureux de la veille à définitivement laissé sa place à un air autoritaire. Ses yeux expriment toutefois une sincère bienveillance. Je me lève pour le saluer poliment. C'est lui que je devrais convaincre de me ramener à Hanoï, autant me montrer conciliante.

— Docteur Ferrat, me dit-il d'une voix grave. Un autre général Faraday souhaite assister à votre interrogatoire. Il sera là dans quelques heures. Je vous demanderai de vous présenter à mon bureau à treize zéro zéro. Tout retard risque d'être mal vu. Est-ce bien clair ?

— Tout à fait, Général Hassan, réponds-je en inclinant la tête. Dois-je m'inquiéter de la venue de votre collègue ?

Le gradé fronce les sourcils, la réponse ne lui semble pas évidente. Ce n'est pas bon signe. Son holomontre bipe : il est appelé ailleurs, je n'en saurai pas plus. Il me rappelle d'un ton plus doux l'heure de mon interrogatoire avant de tourner les talons. Je me retrouve seule avec mes doutes et cette boule d'angoisse qui ne veut plus me quitter. Je me tourne pour observer les habitants de la base en plein petit déjeuner. L'intervention du général a excité les badauds, je suis l'attraction de l'année. Je n'ai qu'une envie : quitter la pièce. De toute façon, l'idée même de manger me provoque des hauts de cœur, je décide donc de parcourir la base.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now