Chapitre 31 - Ménager la chèvre et le chou

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— Hey ! fais-je en le secouant. Est-ce que tu es capable de courir ?

— Je ne sais pas... ma sangle est bloquée... je suis coincé.

— J'ai ce qu'il faut, répond la voix de Kalen qui se tient de l'autre côté de l'œuf.

— Qu'est-ce que tu fais là sans armure ? lui demandé-je, affolée.

— Je termine le sauvetage de mon frère que tu as brillamment débuté, fait-il en sciant la sangle. Une bonne partie de nos soldats sont à terre à présent. Tu devrais filer, Chaton, avant que cet endroit devienne un cimetière. J'ai peur que certains des miens n'aient aucun scrupule à te tirer dessus.

Voyant Jofen s'extirper de sa cabine, je m'apprête à obéir. Mais la situation s'envenime encore davantage avec les premiers échanges de coups de feu. Je crie et me replie sur moi-même contre l'œuf. Les selcyns ont débuté les hostilités. Kalen, accroupi de l'autre côté du suppo, me crie de m'en aller, mais je suis pétrifiée de peur. Si je me relève, les selcyns me tueront. Il saute alors par-dessus l'œuf pour me rejoindre et m'attrape le visage.

— Lily, tu ne peux pas rester ici ! Tu vas te lever, et courir dehors en longeant le mur. Je fais faire signe aux miens de te laisser. J'ai espoir qu'ils restent concentrés sur les soldats.

J'acquiesce en tremblant. Mais l'horreur arrive : un des humains tire à bout portant sur mon Kalen désarmé. Touché au ventre, il s'écroule dans mes bras. Je l'encercle pour le protéger, me servant de mon corps pour le protéger. Kalen lâche de petits gémissements de douleur.

— Tiens le coup, l'imploré-je en lui saisissant le visage. Je reste là, ils n'oseront pas tirer de nouveau sur toi, le risque de me toucher est trop grand. Vous êtes plus nombreux, bientôt, il n'y aura plus de tireurs.

Je sens le corps de mon selcyn trembler. Je suis terrifiée. Je crie, j'appelle Jofen. Les tirs se poursuivent, détruisant un peu plus à chaque détonation l'espoir d'une fin heureuse. Je dépose mes lèvres sur celles de Kalen, lui offrant un baiser d'adieu. Malgré la douleur, sa bouche m'accueille avec avidité. Ce contact intime semble le reconnecter avec la réalité. Il se redresse et passe une main autour de ma taille, et l'autre à l'arrière de ma tête. Avec l'énergie du désespoir, il me presse un peu plus contre lui. Tout me paraît alors si lointain, si ridicule. Je profite de cette douce trêve pour oublier les horreurs qui nous entourent. Nous reprenons brièvement notre souffle avant de repartir à l'attaque. Sa langue cherche la mienne et la trouve sans difficulté. Il n'y a plus que nous deux.

C'est une voix résonnant à travers un amplificateur qui nous arrête. Je reconnais le timbre féminin et autoritaire de Jofen.

— Cessez-le-feu ! Nous vous laissons emporter le docteur Lyna Ferrat avec vous à condition que vous partiez immédiatement en stoppant toute tentative hostile. Notre vaisseau mère a pris l'avantage, et nous sommes plus nombreux à terre. Soit vous acceptez, soit vous mourrez.

L'effet est immédiat. Un silence pesant tombe sur l'immense hall dévasté, Kalen s'affaisse dans mes bras en m'adressant un regard rassurant. Jofen me laisse la possibilité de fuir. Sans doute le fait-il davantage pour sauver son frère que pour m'éviter de me faire trouer la peau par ses soldats, mais j'apprécie le geste. K me fait signe de partir. Je le lâche à contrecœur et me relève. Il ne reste que cinq humains contre une quinzaine de selcyns. Tous sont figés comme si une magie obscure s'était abattue sur eux. Je m'approche d'un militaire d'Alger, hésitante. Celui-ci fronce les sourcils, il se demande probablement si je vais à nouveau jouer des poings. Non, monsieur, je ne vais plus faire d'histoire. Je n'ai plus le choix, je ne peux pas rester chez ceux qui m'ont condamnée à mort. Voyant que je ne tente rien, le soldat se place derrière moi pour couvrir mes arrières. Les quatre autres m'entourent pour m'escorter à l'extérieur. J'ai l'impression d'exécuter la marche de la honte, le silence m'oppresse.

Dehors, la scène est apocalyptique. De ce côté-ci du bâtiment, trois œufs sont au sol, tous ouverts sur le cadavre du pilote selcyn. Je retiens un hoquet de chagrin avec ma main. Deux des quatre protos sont détruits. Leurs pilotes, indemnes, en descendent péniblement. Nous les rejoignons et le plus âgé me dévisage avec mépris.

— Deux protos et un hélico foutus ! me lance-t-il. J'espère que tu en vaux la peine, gamine ! En tout cas, on ne peut pas dire que t'aies donné bonne impression, avec tes manières de boxeuse.

Je ne réponds rien. L'hélicoptère encore en état de marche se rapproche de notre position pour se poser à quelques mètres. Je grimpe à son bord avec les deux soldats dont les protos ont été détruits et les cinq survivants de la fusillade. Les ordres sont hurlés, la tension est palpable. Nous décollons. Je regarde la base de Tavira rétrécir petit à petit. Ces soldats me conduisent tout droit chez les miens. Et loin de Kalen.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now