Chapitre 1

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Cinq ans et demi et déjà perfectionniste. Quel drame pour un enfant dont le cerveau est biologiquement encore trop immature pour accepter et gérer correctement la frustration. La maîtresse de grande section a donné un tout premier devoir noté : former des lettres simples en cursive. Elle a eu 9 sur 10. La meilleure note de la classe, mais pas la meilleure note tout court. Toute petite, mais Lola savait que 9, c'était moins que10. C'était le « b » qui posait problème. Au lieu de faire une jolie grande boucle qui remontait pour faire une jolie petite boucle, elle avait fait un « l » trop large qui finissait en « r ». 0 pour toute la ligne. Elle a pleuré et la maîtresse n'a rien trouvé de mieux à faire que de lui hurler devant toute la classe qu'elle faisait du cinéma. Mais c'était faux. Contrairement à ce que la maîtresse semblait penser, Lola ne faisait pas de cinéma. Elle adorait écrire. La sensation de ses doigts crispés sur un stylo lui plaisait. Elle trouvait satisfaisant le fait de former des lettres, de voir l'encre couler sur le papier et de la contrôler. Elle était fière de montrer son beau cahier soigné. Et elle n'a même pas eu juste. Elle était tellement déçue d'elle-même et tellement en colère ! Elle aurait voulu l'exprimer avec des mots ou même par un dessin. Mais à cinq ans et demi, on ne sait pas faire ça. Alors lola a fait ce que tous les enfants de cinq ans et demi savaient faire, pleurer. Crier. Se rouler par terre. Se mordre l'intérieur des joues jusqu'au sang. Faire sa crise, en gros.

Le soir, c'est papa qui vint la chercher à l'école. Maman n'avait pas le temps ; elle n'avait jamais le temps. Elle ne foutait rien à la maison à part dormir et des fois préparer à manger. Quand elle avait un élan de motivation. Ça n'arrivait pas très souvent. Lola avait arrêté de la croire quand elle lui disait le matin qu'elle lui promettait de venir la chercher le soir. Elle n'y croyait plus, mais même dans la tête de l'enfant le plus sérieux de la Terre, l'espoir était présent. Alors ce soir comme tous les autres, et même plus ce soir que tous les autres, Lola fut triste de ne pas voir maman devant la grille. Alors que papa se dirigeait vers la maîtresse/dragon qui l'appelait comme une débile en lui faisant des grands signes, la petite fille tourna sa moue boudeuse vers la scène qui se passait juste à côté d'elle. À travers ses petits yeux jaloux, Titouan courrait vers ses parents qui se tenaient par la main et avaient un sourire niais. Il sauta dans les bras de sa mère, qui le souleva comme un ballon. Et il fut couvert de bisous et de mots gentils. Lola ne comprenait pas. Titouan était bête. Au contrôle il avait eu 6. Et on le félicitait pour être un petit garçon débile. Elle, sa maman lui dirait juste « c'est bien » et basta. Aucun geste affectif. « J'aime pas les câlins » disait-elle à chaque fois qu'elle lui en demandait. Comment cela se faisait-il qu'elle, bonne élève, gentille, calme, n'ait pas le droit aux câlins de sa maman, alors que lui si ? Ce n'était pas juste. Lola avait déjà beaucoup d'émotions négatives en elle, mais aujourd'hui c'était définitivement pire.

Alors que tous les parents étaient partis et que Lola avait de plus en plus de mal à contenir ses larmes, papa revint. Il avait l'air content. Le petit corps de l'enfant se remplit d'angoisse. Qu'est-ce que le dragon avait bien pu dire ? Qu'elle était nulle ? Une bonne à rien ? Qu'elle était une pleurnicheuse qui faisait du cinéma ? Et lui, pourquoi il avait ce sourire ? Il allait la punir en lui faisant du mal ? Papa ne faisait jamais de mal. Mais elle savait que les parents qui faisaient du mal, ça existait. Une fois Lily lui a dit que sa maman touchait tout le temps sa petite fleur quand elle lui donnait le bain et qu'elle sentait ses grands ongles bouger « dedans ». Et elle a même vu le papa d'un grand lui foutre une tarte monumentale, juste devant l'école. Est-ce que papa serait devenu méchant comme ça ? Il allait lui faire mal parce qu'elle était nulle ? Alors qu 'elle se préparait à recevoir la claque, elle se sentie soulevée du sol et tournoyer dans les airs. Et la sensation d'un des gros bisous piquants de papa sur son front. « 9 sur 10, bravo ma puce ! C'est super ! » Il la porta en triomphe jusque dans la voiture et l'installa dans le siège auto rose. La voiture démarra, mais ce n'était pas le chemin de la maison. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, papa lui fit un clin d'œil dans le rétro. Lola se mit à regarder les gouttes d'eau faire la course sur la vitre de sa portière, avec un certain pessimisme, alors que les premières notes de Song For Jedi de Dionysos se faisaient entendre à la radio.

Elle connaissait bien l'endroit où la voiture s'arrêta. Le supermarché. Un paradis et un enfer à la fois, avec plein de choses trop bien, on peut choisir tout ce qu'on veut, tout bien rangé, classé, parfaitement. Mais plein de bruits et de couleurs trop criardes. Elle pouvait bien passer outre ces désagréments si elle avait droit à un cadeau. Toujours avec son beau sourire, papa l'aida à sortir de la voiture et la prit par la main. À l'intérieur, il la laissa même s'installer dans une petite voiture/caddie alors que d'habitude il ne voulait jamais. C'était génial. Elle jouait à tourner le volant, tirer la clef, ouvrir et fermer la poignée pour mettre l'essence. Pour une fois, les copains d'école seront jaloux quand elle leur racontera sa soirée. Elle sera enfin intéressante. À cinq ans et demi, la voiture/caddie, c'est le Graal, peu importe la génération. Soudain, papa arrêta de pousser. « Essence ? » demanda-t-elle perplexe. En guise de réponse, il pointa juste le doigts vers le rayon de gauche. Et ses yeux s'illuminèrent. La joie enfantine revint sur le visage frustré de Lola. « Choisis ce que tu veux. Un 9 sur 10 en écriture, ça se fête !

-Mais...j'ai pas réussi...j'ai eu que 9...

-Bah c'est très bien 9 ! Cathy m'a expliqué, tu as eu du mal sur le b c'est ça ? Eh bien on regardera ensemble, comme d'habitude, et on le retravaillera tous les deux. Tu verras, tu vas y arriver.

-Mmmh...ça m'énerve de pas avoir réussi tout de suite...

-Je sais ma puce. Allez, choisis le jouet qui te plaît, et après on ira à la cafet du magasin manger un bon goûter. »

Une Barbie aux cheveux très longs et un combo crêpe au caramel/chocolat chaud plus tard, Lola avait à peu près retrouvé le sourire. Le poids de la défaite au devoir pesait encore sur sa conscience, mais elle était soulagée par super papa et ses supers cadeaux. Sa journée n'était pas sauvée, mais au moins son papa essayait de l'aider même si visiblement il ne la comprenait pas trop.

Monsieur G.Where stories live. Discover now