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Livie, 9 ans.

Mon souffle irrégulier s'échoue sur la peau de mes genoux, tandis que je prie intérieurement pour que cet enfer cesse un jour. La langue pressée contre mon palais, je lutte contre les larmes. J'en ai déjà assez versé. C'est totalement minable et ils ne cessent de me le répéter.

J'ai mal à la tête, au cœur et partout ailleurs. Mais ça ne les empêche pas de continuer. Mon corps hurle de douleur mais aucun son ne passe la barrière de mes lèvres. Le goût métallique du sang se répand dans ma bouche, alors je relâche la pression de mes dents sur mon bras et change de coin pour recommencer. Ça m'aide à ne pas flancher une bonne fois pour toutes.

Se faire du mal, ou les laisser me faire du mal. La solution est vite choisie.

Leur cri et leur injure raisonnent dans ma tête tel un bourdonnement incessant, qui m'empêche de plonger dans le déni une fois de plus. Cette fois est différente, je le sens. Mon corps marqué par de nombreux bleus ne me fait presque plus mal, et les sensations s'entrechoquent en moi. J'ai l'impression que ma tête va exploser, et que je suis sur le point de franchir les derniers centimètres qui me séparent du profond gouffre.

Ils ne se retiennent plus, frappant à la moindre occasion chaque parcelle de mon corps encore claire. La rage déforme leurs traits, mais je les laisse faire. Comme toujours.

Un épais brouillard me voile rapidement la vue, mes poumons se compriment entre eux me créant une sensation de brûlure et les battements de mon cœur ralentissent. Une impression de déjà vu s'immisce dans mon esprit. Je ne suis pas loin du point de rupture et j'espère enfin pouvoir quitter ce monde cruel et vivre heureuse.

Je sais déjà que demain, si je me réveille, mon corps sera entièrement recouvert de tâches se dégradant d'un vert jaunis à un violet obscur. Je redeviendrais une œuvre d'art que l'on continura de modifier jour après jour jusqu'à ce que la carcasse qui me sert de pilier abandonne la partie.

Maman compte sur moi alors je presse mes paupières entre elles. Une fine et légère goutte d'eau trace un sillon salé le long de mon visage. Ma tête est violemment tirée en arrière, ce qui m'arrache un râle de douleur. Une main s'abat avec rage et puissance sur ma joue et ma tête se tourne sous la force du coup. Les rires puis les insultes fusent mais je tiens encore bon. Je dois rentrer malgré tout à la maison. Maman à besoin de moi.

Livie, 12 ans.

Je devrais être habitué à la douleur que me procure leurs actes depuis le temps, mais à chaque fois mon cœur se brise en milliers de morceaux et même si je fais mon possible pour ensuite le recoller, j'en oublie toujours de d'infimes bouts.

Je ne pense pas que vouloir autant partir puisse être possible, mais j'encaisse et je ne dis rien. C'est comme ça, et si j'ose dire quelque chose, les choses empireront, et je n'ai plus assez de force. Je tiens pour Maman, son beau sourire, sa joie de vivre et sa douce odeur réconfortante.

La boule au ventre, je passe le portail du collège en prenant une grande inspiration, avec le faible espoir qu'ils s'acharnent sur quelqu'un d'autre aujourd'hui. C'est égoïste de ma part mais je n'en peux plus, des nouvelles marques droites et profondes sur mes bras s'ajoutent chaque jour et je ne contrôle plus rien. Je suis perdue et fatiguée de lutter.

Livie, maintenant.

J'ai toujours eu cette impression de vivre sans jamais vraiment avoir été présente.

D'être enfermée dans une cage ou alors tout simplement d'être spectatrice des actions qui se déroulaient autour de moi.

Je subissais une vie que l'on prétendait être mienne, alors que je savais, au fond de moi que je n'en étais pas maître, ils l'étaient, mais moi non.

Le jour où je m'en suis vraiment rendue compte, je m'étais faite la promesse de réussir à sortir un jour de cette transe et d'être heureuse quitte

Et au moment le moins attendu, je me suis réveillée en hurlant au monde d'aller se faire foutre, car j'avais enfin toutes les cartes en mains.

Aujourd'hui, je me trouve dans un avion, quittant le sol français pour refaire ma vie, seule, et loin d'ici, à New York.

Je vais me reconstruire, et vivre ma vie comme j'aurais dû le faire depuis longtemps, loin d'eux.

Never AloneWhere stories live. Discover now