Chapitre 25 - Coup de Poker

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Contre toute attente, je me suis donc fait une place. Ça m'a donné une idée. Il y a trois semaines, j'ai (encore) convaincu Jafro de se rendre au village voisin, pour trouver un jeu de cartes cette fois-ci. Je voulais l'accompagner, pour être sûre qu'il ne se plante pas. J'ai insisté trèèèèès lourdement, et il a fini par accepter de s'y rendre... sans moi. Enfoiré de selcyn. La déception m'a rappelé qu'un jour, je retenterai une évasion, mais l'idée est vite repartie. Bref, Nounou est revenu avec un jeu de tarot. Il m'a fallu un peu de temps pour me remettre les règles en tête, mais sitôt fait, j'ai initié Ragnar et Nounou à cette activité. Grand mal m'en a pris, ils réclament des parties quotidiennement. Quand il le peut, Kalen se joint à nous. Terk a également essayé, mais il n'a pas apprécié. Il est plus homme d'action que fin stratège, et je le soupçonne d'être mauvais joueur même s'il m'assure qu'il n'y a que les terriens pour s'abaisser à de tels comportements.

Fasciné par les divertissements humains, Jafro a sorti un jeu de pétanque du bric-à-brac des objets accumulés lors de missions. Là encore, je crois que j'ai eu mon quota de boules pour le siècle à venir (je parle toujours de pétanque, pas de méprise). Mais je mentirais si je disais que je n'apprécie pas ces moments. C'est assez incroyable de voir ces hommes si peu expressifs se transformer en joueurs motivés autour d'un jeu si... terrien. Je les vois de plus en plus esquisser ce qui ressemble à des sourires. J'ai même surpris un groupe de soldats se disputer l'accès au jeu en mon absence, et un autre se vanter d'avoir trouvé deux triplettes supplémentaires dans une maison lors de sa dernière mission. Il y en a même un qui a ramené une nouveauté : un plateau de jeu d'échec complet. Évidemment, c'est Lily qui a dû expliquer les règles à tous les intéressés ! Ceci dit, je dois avouer qu'ils apprennent vite, je n'ai pas eu à les chaperonner longtemps. Tant mieux, je ne suis pas fan des échecs.

De temps en temps, je prépare des desserts typiquement humains que je distribue à la salle de sport. Peu importe son origine, un homme reste un homme, et un ventre bien plein peut faire des miracles (je garde dans un coin de ma tête que je dois endormir leur vigilance). Bon, c'est une semi-victoire : la moitié des selcyns reste méfiante quant à la nourriture locale, mais l'autre s'y est faite. Il faut dire que face aux gjustres, même le SMECTA peut passer pour un mojito.

Bref, l'ambiance de la base change jour après jour. Je crois même pouvoir affirmer que certains, comme Jafro, Sayan ou Terk, éprouvent une forme de sympathie à mon égard. C'est réciproque, mais plutôt crever que de leur dire.

J'attends toujours avec impatience les visites de Kalen. Il m'a qualifiée d'idéaliste, mais je crois qu'il l'est plus encore. À présent, il semble réellement convaincu qu'une cohabitation des peuples est possible, pour ne pas dire obsédé par cette idée, et il entend bien le prouver avec moi. Et il est vrai que notre duo improbable fonctionne plutôt bien, si on oublie le fait que je sois retenue contre mon gré. Il possède également une sensibilité artistique que je ne retrouve chez aucun autre selcyn, ou peut-être est-ce seulement qu'il l'assume davantage. Il me reparle régulièrement des poésies que je lui récitais à Farada-4, et des musiques que je lui ai fait découvrir. Il connaît maintenant énormément de peintres et de compositeurs humains (il a étudié la question, pardi), et il regrette sincèrement que les arts n'aient jamais su se faire une place sur Selcyon. Nous passons d'ailleurs l'essentiel de nos tête-à-tête à écouter de la musique en jouant à Candy Crush.

La semaine dernière, j'ai essayé de l'initier à la danse, mais il s'est montré raide comme un barreau de chaise et peu à son aise. L'expérience s'est vite arrêtée, même s'il m'a promis qu'il se renseignerait sur la question. J'ai bien sûr éclaté de rire, il doit passer ses nuits avec le moteur de recherche universel en perfusion. Lui aussi a ri, je l'ai trouvé magnifique. Son rire. Enfin, lui aussi. Quand son visage s'illumine, c'est tout mon monde qui s'éclaire et mon âme qui se réchauffe. Dit ainsi, j'ai bien conscience que ça fait niais. Pourtant, la douce chaleur qui m'envahit quand il se laisse aller avec moi ne ment pas. J'aime la facilité avec laquelle nous échangeons, son côté enfant qui découvre le monde à l'opposé de son masque de chef d'armée froid et distant qu'il revêt dès qu'il sort de ma chambre. C'est paradoxal, Kalen est un paradoxe que je veux comprendre. Je regrette juste qu'il n'ait pas plus de temps à m'accorder.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant