Chapitre 15 - L'enfer est pavé de bonnes intentions

Depuis le début
                                    

Je suis pétrifiée. Et encore, le mot n'est pas assez fort. Kalen s'est tu pour m'analyser. Est-ce qu'il voit à quel point je souhaite sa mort ? Lee avait donc raison, des femmes ont bel et bien été enlevées. Et ces porcs comptent les mettre enceintes. Je vais vomir. Je sens mon visage se vider de son sang devant l'horreur de la situation. Je ne peux pas rester ici, que vont-ils me faire ? D'un geste brusque, je jette la casserole sur Kalen et me précipite vers la porte. Le temps qu'elle s'ouvre, K est déjà sur moi. Mais je suis habitée par une rage dévastatrice. Je cogne fort, sans interruption, en poussant des cris de fureur.

— Lyna, Lyna... calme-toi ! grogne Kalen en tentant de me maîtriser sans me faire mal, chose qu'il parvient à faire en moins d'une minute.

— Tu es le diable ! hurlé-je. Laisse-moi partir ! Vous êtes des monstres ! Des monstres !

— Je me doutais que tu penserais ça.

Mes bras sont immobilisés. Je lui crache au visage. Il fronce légèrement les sourcils. Monsieur n'est pas content ? Allez, je recommence.

— Lyna, bon sang ! Écoute-moi jusqu'au bout !

— Je n'ai aucun ordre à recevoir d'un peuple qui a détruit sa planète.

— Vraiment ? Et les humains, que font-ils depuis près de six siècles ? Je vais te le dire : ils saturent leur air de produits toxiques, provoquent des dérèglements climatiques mortels, répandent des poisons invisibles par manque de maîtrise de l'atome, s'irradient d'ondes néfastes pour le développement cérébral et provoquant des maladies mutationnelles. Vous faites la même chose, la mort est juste plus lente ! Vous voyez votre extinction approcher à grands pas, et vous ne faites rien pour vous sauver ! Nous, nous n'avons pas eu le temps de réagir. Sinon, nous l'aurions fait.

— Avec vos scientifiques tous plus mauvais les uns que les autres ? En laissant une nature de plus en plus hostile vous enfermer dans des bases ? Laisse-moi rire Kalen ! Et maintenant, tu vas me faire croire que vous allez sauver la Terre ?

— Nous le pouvons, m'affirme-t-il sans ciller.

— Bien sûr, mais après avoir violé nos femmes. Faut bien assurer la relève ! Et moi, que vais-je subir ? Je croyais que j'étais ton animal de compagnie. Serais-tu zoophile ?

— Nous n'allons violer personne. Lyna, laisse-moi t'expliquer jusqu'au bout.

Je lui assène un coup de tête que je veux violent. C'est réussi, je suis à moitié assommée. Lui ne bronche pas. Kalen me lâche et s'essuie le visage, encore humide de mes crachats. Des gouttes de sang perlent de son nez. Tout de même ! Je recule en titubant, mes yeux parcourent la pièce à la recherche d'un objet pouvant faire office d'arme. Le couteau utilisé par mon ennemi pour trancher les pommes de terre est tout proche.

— Lyna, ne fais pas ça ! me prévient K. Tu ne peux pas avoir le dessus sur moi. Écoute : nous n'allons pas violer de femelles. Je t'ai déjà expliqué que le sexe avec votre espèce ne nous intéressait pas. Les femelles humaines sont rapidement libérées. Nous voulons seulement prélever des gamètes sains et procéder à des fécondations et des gestations in vitro. Nous avons des couveuses.

— C'est à peine moins horrible. Vous n'avez pas le droit de faire ça ! Vous n'avez donc aucune éthique ?

— Nous manquons peut-être d'éthique, mais les humains manquent d'honneur. Une espèce qui envoie des machines se battre à sa place ne mérite que peu de respect.

— Enfoiré ! grommelé-je.

— Nous voulons juste survivre. Crois-moi, j'aimerais qu'une entente avec ton espèce soit possible. Je l'ai souhaité un temps, mais trop d'horreurs ont été perpétrées.

— Des deux côtés ! complété-je.

— Des deux côtés, me confirme Kalen. Mais toi... tu es différente. Tu ne m'as pas détesté, tu m'as soutenu, rassuré...

— Si tu savais comme je regrette...

— J'en suis désolé. Mais je vais avoir besoin de ton aide. Tu es médecin, et tu es une humaine que je pensais plus compréhensive. Dans ta base enterrée, tu m'as dit avoir travaillé dans une maternité où tu gérais des grossesses pathologiques et des grands prématurés.

— J'aurai mieux fait de la boucler, me lamenté-je.

— Tu nous aideras à mettre au monde notre nouvelle génération et, surtout, tu nous apprendras tout ce que nous devons savoir pour subvenir à leurs besoins physiques et psychiques. Les livres ne suffiront pas, nous avons besoin d'un humain pour adopter les bons gestes.

— Je refuse. Vous n'obtiendrez rien de moi.

— Tu laisserais mourir ces nouveau-nés ?

Je ne réponds pas. Kalen soupire et s'éloigne vers la porte. Mauvais calcul pour lui. Je saisis le couteau et me jette sur son dos. La lame l'effleure et je réalise au même moment que je ne peux me résoudre à l'enfoncer dans sa peau. Je fige donc mon geste, puis K me propulse plusieurs mètres en arrière. Je tombe lourdement, couteau en main. Il se tourne vers moi. Je m'attends à voir de la haine dans ses iris, ou son habituelle indifférence. Mais il n'en est rien. Son regard est rempli de tristesse. Jamais Kalen ne m'avait paru si humain. Je le déteste. Je le déteste tellement. N'y tenant plus, je me mets à sangloter de façon incontrôlée. De longues minutes s'écoulent avant que j'arrive à me calmer. Je me redresse : Kalen n'est plus là, évidemment, et ma porte est fermée. Je me relève et m'y dirige. Pas fermée, verrouillée.

Corps étrangers [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant