Chapitre 12 - Manger un clown

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— Pourquoi ne pas tout simplement avoir renoncé ? Pourquoi ne pas repartir sur Selcyon ? demandé-je en frissonnant d'effroi.

— Nous ne pouvons pas.

J'ai déjà entendu cette réponse. Mais pour la première fois depuis que je le côtoie, Kalen semble éprouver des émotions. En l'occurrence de la tristesse, si je me fie au voile qui a assombri ses iris marron clair. Il regarde une des machines d'un air absent et ses épaules semblent s'affaisser sous le poids d'un aveu terrible. Il me fait de la peine. Mais je ne bouge pas. Je ne vais quand même pas le réconforter.

— Pourquoi ? articule ma bouche sans mon autorisation officielle.

Les yeux de K se posent alors sur moi. La peine s'est envolée, et il semble analyser si oui ou non je mérite d'être mise dans la confidence. Je sais que j'échoue à ce test silencieux quand il se détourne de moi pour prendre la direction du couloir. Mais il ne s'y engage pas. Il reste immobile et me fait signe de me placer derrière lui. Il me faut quelques secondes pour percevoir des bruits de pas, et je me dépêche de me mettre dans le dos de mon ravisseur/protecteur (j'aurai décidément toujours du mal à définir ce qu'il est pour moi). Je penche la tête et aperçois trois individus de fortes carrures qui avancent avec assurance, leurs six yeux braqués sur moi sans haine ni chaleur, éternelle neutralité. Je reconnais le dénommé Jafro. Il est accompagné d'un autre blond aux cheveux tressés et attachés en arrière : le Viking d'Hanoï, ainsi que d'une femme, à ma plus grande surprise. Cheveux cuivrés coupés court, regard intense, épaules carrées, elle me semble bizarrement la plus redoutable des trois.

Gatihum, fait Kalen. Semol articia, Docteur Lyna Ferrat, L.Y.N.A.

Alors qu'il épèle mon prénom, il saisit mon bras pour me placer à ses côtés. Je ne peux pas lâcher la femme des yeux. J'ai toujours entendu dire qu'il n'y avait que des hommes chez nos ennemis. La selcyne, donc, possède le corps d'une grande catcheuse professionnelle. Son habit moulant laisse deviner ses abdos parfaitement dessinés, même au travers du tissu ! Je sais que tous les selcyns ont des corps incroyablement musclés, mais je pense à présent qu'il s'agit davantage des conséquences d'un entraînement sérieux, voire de traitements médicamenteux, plutôt que d'une rigueur dans le choix de leur réceptacle humain.

— Lyna, tu connais déjà Jafro qui est l'individu avec qui j'entretiens le plus d'interactions sociales.

À ce moment-là, je note deux choses : et d'une, il est passé au tutoiement, et de deux, il a une drôle de façon de présenter son meilleur ami. Je hausse les sourcils et reporte mon regard sur la femme.

— Et voici Sayan, continue-t-il en désignant le Viking. Il possède des connaissances biochimiques époustouflantes. De manière générale, il excelle dans les domaines scientifiques, ce qui fait de lui un des meilleurs Scinas de mon peuple. Nous lui devons beaucoup.

Scinas ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

— Et enfin, Jofen, mon frère, finit-il en me montrant la rousse.

— Ta sœur, tu veux dire, rectifié-je.

— Non, il dit vrai, fait la femme d'un ton sec. Je me nomme Jofen F3-549, frère de Kalen F3-548, le Temen de Cassy-3. Tùlen, le Grand Consul, est notre géniteur. Je fais partie des rares volontaires ayant accepté de glisser dans un corps de femelle. Et croyez-moi, Lyna Ferrat, je regrette presque tous les jours !

— Le corps féminin est plus complexe, notamment au niveau hormonal, acquiescé-je en essayant d'imaginer Jofen avec un pisse-debout (non, je ne dois pas rire).

— C'est exact. Ces saignements et ces pics hormonaux sont désagréables et déstabilisants. La masse musculaire se développe à moindre vitesse tandis que les réserves lipidiques s'accumulent bien plus facilement. Les femelles sont plus faibles que les mâles, comme chez nous. Mais au moins, nous évitons les saignements réguliers qui contribuent à fatiguer le corps et à affaiblir la force mentale.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now