Chapitre 5 - Filer à l'anglaise

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— T'es là, petite oie blanche ! me lance affectueusement Mei.

— Oui, purée ! Je suis tellement contente de te voir ! Et que fait-on maintenant ?

— Les ascenseurs sont en panne, explique Saïd. Le générateur de secours a été bousillé. Les selcyns sont déjà dans l'enceinte. Deux choix s'offrent à vous les filles : la planque ou l'évacuation.

— Un bunker dans un bunker, non merci, dis-je en grimaçant.

— On se tire de là ! renchérit Mei.

— Dans ce cas, vous allez prendre les escaliers et prier pour qu'une navette d'évacuation soit toujours disponible.

— Mais sans courant, elle ne fonctionnera pas ! se lamente mon amie tout en regardant avec effarement la foule se piétiner.

— Les navettes sont autonomes, la rassure Adèle, la mécano.

— Tout à fait, confirme Saïd. Allez-y, vite !

— Et toi ?

Mon ancien compagnon m'adresse un sourire rassurant.

— Avec Gatien, on doit rejoindre les forces de défense.

— Il est trop tard pour les repousser, tu l'as dit, ils sont déjà dans l'enceinte ! Escortez-nous jusqu'aux navettes au moins !

Saïd regarde Gatien et je remarque que ce dernier est trop heureux d'approuver. Je comprends tout à fait qu'il ne soit pas chaud pour rester dans cette zone de guerre. Nous nous engouffrons donc, comme bien d'autres, dans la minuscule cage d'escalier, le cœur battant à tout rompre. Les échos métalliques des pas précipités s'immiscent dans ma tête comme de minuscules coups de couteau, et après quelques minutes, je transpire à grosses gouttes. Nouvelle détonation suivie d'un crissement terrible : le haut de l'escalier se détache et des débris commencent à pleuvoir au milieu des gémissements apeurés.

— Bon sang, mais comment peuvent-ils être si rapides ! grogne Saïd. Je savais que c'était une mauvaise idée de ramener l'un d'eux ici !

— Ramener qui ? demande Gatien en haletant.

Mon ex ne prend pas la peine de répondre à la question. Le flot humain sort précipitamment de ce lieu exigu pour arriver sur le long et étroit quai du niveau -5 avec, de part et d'autre, les voies magnétiques sur lesquelles patientent les navettes pour Hanoï.

— Celle-ci m'a l'air endommagée, constate Adèle en bonne ceinture jaune qu'elle est.

Nous regardons l'engin de gauche, mais je crois qu'à part elle, aucun de nous ne voit de défauts. Nous lui faisons tout de même confiance et grimpons dans celle de droite.

— On va ressortir et aller faire notre boulot, maintenant qu'on vous sait en sécurité, insiste Saïd.

— Qu'est-ce qu'on peut dire pour vous retenir ? l'interroge Mei.

— Absolument rien. Bonne chance, on se retrouve à Hanoï !

Ma gorge se serre et je n'arrive qu'à prendre les mains de Saïd en silence. Ses yeux me transpercent, nous avons tant partagé que je me sens mal de le laisser ici. J'ai envie de me blottir contre lui, mais au lieu de ça, je le lâche. Puis je me tourne vers Gatien et l'enlace mollement. Enfin, je me recule et marmonne un bonne chance peu intelligible.

Les garçons sautent en dehors de la navette. Au même moment, un ronronnement léger se met en route. Les portes du wagon coulissent, piégeant sur les quais une centaine de personnes n'ayant pas eu le temps d'embarquer.

— Qui a fermé ces fichues portes ! hurle Mei.

— C'est moi ! clame une voix pleine d'autorité.

La totalité des passagers se retourne comme un seul homme vers le Général Lee. Ses traits tirés lui donnent un air de mort-vivant. Plus personne ne pipe mot. Mei et moi serrons les poings. Visiblement, son sens du devoir n'est pas aussi développé que celui de ses hommes. Que vont faire Saïd et Gatien si cet enfoiré est ici ?

— Par ordre du général, nous quittons immédiatement la base, clame un de ses gradés d'une voix grinçante. Attachez-vous.

Bien évidemment, nous n'avons pas le temps de nous trouver une place que la machine se met en route dans un quasi-silence. Sans surprise, je finis à terre et je surprends cette peste de Mei me tirer la langue. J'hallucine ! Quand enfin j'arrive à m'assoir, je ferme les yeux. La navette relie Faraday-4 au nord d'Hanoï, à quarante kilomètres de là, en moins de quinze minutes, le temps de me calmer avant d'affronter l'extérieur.

Après deux ans passés dans la sécurité d'un habitat enterré, j'appréhende de devoir revivre à ciel découvert. D'autant plus que je ne garde pas d'excellents souvenirs de Yubei. J'espère que ce déménagement ne sera que provisoire et que nous pourrons réintégrer Faraday-4 rapidement. Mais je ne me fais guère d'illusions. Les protocoles de sécurité nous sont régulièrement rappelés : une base découverte et une base fichue.

Un bip discret signalela fin du voyage. Nous sommes encore dans une gare souterraine. L'ensemble despassagers, une grosse centaine, peut-être deux, sort en traînant la patte. Jesuis alors prise d'un sentiment d'urgence. Je saisis la main de Mei et coursvers la sortie, talonnée par Adèle. Je monte les marches trois par trois pourensuite sprinter dans un long couloir. Une dernière porte à digicode nous barrela route. Je tape mon matricule et elle s'ouvre instantanément. Je reprends macourse, toujours en tenant mon amie. Quand enfin j'aperçois le bleu du ciel, jeralentis. J'attends d'être complètement sortie pour enfin m'arrêter. La têtelevée vers les quelques nuages, j'inspire profondément l'air extérieur.J'espère que les garçons s'en sortiront et que mon patient retrouvera lessiens. Ces deux souhaits sont-ils compatibles ? Mei me fait signe et je tournemon regard vers la direction indiquée. Au nord, un lointain panache de fumée habillele ciel. Faraday-4 est tombée.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now