c h a p i t r e 1

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"Who are you against loneliness ?"

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"Who are you against loneliness ?"

CRAZY ON YOU - HEART

Opale

08h30. Physique-chimie.

J'ai encore la tête qui tourne de mon joint de ce matin et des fins de clopes trouvées sur le trottoir.

Tu devrais arrêter de fumer tout et n'importe quoi, me réprimande une voix dans ma tête. Mais ma conscience, elle, me dit que foutu pour foutu autant se ruiner pour de bon.

Je ressasse les mots de mon psychiatre encore et encore. Tous ces termes médicaux auxquels je ne comprenne rien s'emmêlent. Paranoïa. Voix. Vécu de persécution. Pensée décousue.

Je le revois là-devant moi à m'expliquer que ce n'est pas normal de se sentir suivie dans la rue, de se méfier de tout le monde, d'avoir l'impression qu'on me veut du mal, de voir des ombres passées.

Il parle aussi de perte de motivation et de symptômes souvent confondus avec une dépression.

J'aurais dû lui dire que je me drogue. Que j'ai peur de plus contrôler mon addiction. Il m'a prévenu, qu'avec des symptômes comme les miens, fumer c'était se tuer.

Et moi ça n'a fait que m'encourager.

Tu convoites tout ce qui te tue, me hurle ma pensée.

Mon psychiatre ne l'a dit qu'une fois, mais moi, ça m'a marqué.

— Opale ?

Je suis peut-être schizophrène.

— Opale !

On m'arrache à mes pensées et sans réfléchir, je réponds :

— Oui ?

— Tu es avec Nurul pour le TP du 31 janvier.

— Nulur ?  Y'a une Nulur dans la classe ?

Évidemment ça fait rire. C'était pas l'objectif mais quoi que je fasse, je passe pour le cancre. Mes camarades de classe m'apprécient sans me connaître. C'est stupide et superficiel, un peu comme toutes relations à notre âge.

Mais j'avais sérieusement oublié qui était cette Nulur. Nourl ? Je ne m'en souviens déjà plus. Pourtant quand je tourne la tête, je réalise que je l'ai déjà vu.

De ses yeux noisette à sa chevelure brune, elle n'a rien de spécial. Ses cheveux châtains, en carré, sont parfaitement lisses. Sa frange est elle aussi parfaitement droite, et son visage rond est lui-même sans défaut. En tout cas, en apparence. Elle ne semble pas vouloir qu'on remarque ses imperfections. Ce qui est drôle, c'est qu'elle essaie tellement de ressembler à tout le monde que j'ai fini par l'oublier.

À la fin du cours, je la vois hésiter à m'approcher.

— Salut ! commence-t-elle de manière presque trop enthousiaste.

Son sourire éclatant m'exaspère déjà.

— Salut.

Pendant un instant, on se regarde dans le blanc des yeux, silencieuses. Elle s'agite beaucoup, passe son poids d'un pied à l'autre. Puis, son regard s'allume d'une lueur courageuse, et elle enchaîne :

— Échangeons nos numéros ou nos réseaux sociaux, pour le TP.

Elle ne paraît pas me donner le choix : son ton n'était pas interrogateur. En fait, ça sonnait plutôt comme une affirmation, à la limite d'un ordre. Miss tout-le-monde n'attend pas ma réponse, et m'offre un papier avec ses contacts.

Je hausse un sourcil ; il faut être fou pour croire que je compte participer à ce travail.

J'attrape quand même le bout de feuille, histoire de pas froisser son égo.

***

10h. Maths.

L'envie de me jeter sous un train est irrépressible. Il faut être malade pour apprécier ces deux heures de mathématiques. J'écoute à peine et je rêvasse.

Ou plutôt, j'observe. Nurlu, ou Nulur. Je sais plus.

Elle s'est assise à côté de moi sans rien me demander (tant mieux car j'aurais dit non si elle avait posé la question et ça l'aurait sûrement vexée). La brune a l'air de boire les paroles du professeur comme si c'était du vin cher. Quoique, je crois avoir entendu qu'elle était musulmane... Elle est donc plus branchée jus d'orange.

— Quelqu'un peut résoudre le problème n°1 ?

Je jette un coup d'œil à sa feuille : elle en est déjà au problème n°5 et ses calculs ont l'air corrects. Alors pourquoi ne lève-t-elle pas la main ?

C'est le silence qui répond à Monsieur Tulis, qui se racle la gorge :

— Quelqu'un ?

Ok, là ça devient pathétique. Le professeur offre un regard suppliant à la classe. Nulur tente en vain de fixer sa copie, les joues rouges, les poings serrés autour de son crayon de papier. Elle veut passer inaperçue, mais avec cette tête de constipée, on la remarque à des mètres.

J'en ai ma claque.

— Nurlu, pourquoi tu lèves pas la main ?

Elle sursaute, ne s'attendant sûrement pas à ce que je lui adresse la parole.

Puis elle se tourne vers moi et chuchote à son tour, l'air de contenir son agacement :

— C'est Nurul...

— Hein ?

— Je m'appelle Nurul ! siffle-t-elle en laissant tomber son crayon au sol.

— Oui Nurul on sait, merci pour l'information, réplique le professeur, l'expression fermée.

Des rires se répercutent sur les murs, certains se retournent. Nulur- Heu, Nurul, semble mal à l'aise face à l'attention que lui porte la classe. Sa timidité, ou plutôt son manque de confiance en elle qu'elle cache, m'intrigue. J'ai envie de lui crier "réveille-toi ici c'est les cités de France Narvalo". Mais elle n'aura jamais la référence, étant donné qu'elle ne paraît pas être du genre à traîner sur Tiktok ou à envoyer des mêmes.

Elle me lance un léger coup d'œil, puis soupire avec sarcasme :

— Merci, Opale...

— Mais de rien, Nurul !

Mon faux enthousiasme aurait dû l'énerver plus qu'autre chose, pourtant elle me surprend en pouffant. Puis honteuse, elle se couvre la bouche de ses petites mains. Elle est plutôt simplette, mais innocente. C'est un truc que j'apprécie depuis quelque temps : la douceur. Nurul est loin d'être authentique mais elle laisse parfois entrevoir sa vraie personnalité, et c'est rafraîchissant.

J'hausse un sourcil curieux avant de sourire, et je décide que je l'aime bien cette fille, au final. Je louche sur le coin de sa feuille, ou est écrit en pattes de mouches :

Nurul Abdallah.

Lost girlsWhere stories live. Discover now