La musique se déploie et les émotions qu'il ressent sont contradictoires. Des moments de bonheur. Des échanges en toute douceur. Des sourires complices. Des pleurs difficiles. Et un amour inconditionnel. Indescriptible. Un au revoir bouleversant. Des regrets constants.

Mais il n'a pas le temps d'y songer plus longtemps.

La mélodie atteint son paroxysme avant de mourir.

La salle éclate en applaudissements nourris, témoignant de l'appréciation et de l'admiration pour cette interprétation magistrale. Tout le public est debout et Pierre fixe cette chevelure de jais, juste devant lui, qui a sauté de son siège. Il aurait pu parier qu'elle s'est levée la toute première.

Le rideau tombe, mais les acclamations ne finissent pas. La spectatrice devant lui tourne la tête pour admirer ces louanges que portent la foule à l'orchestre.

Et Pierre croise son regard. Il reste là. Il retombe même sur son siège, incapable de tenir debout face à ses yeux bleus clairs qui le transpercent.

Il voit ses pupilles se dilater. Elle peine à y croire, tout comme lui.

Asha est face à lui.

Et elle lui sourit.

Il est frappé par sa présence rayonnante. Ses cheveux noirs sont élégamment coiffés et il peut apercevoir les lumières qui se reflètent dans quelques mèches argentées. Son visage est dégagé. Il entrevoit ses traits délicats et son regard captivant, dont les yeux pétillent d'une lueur d'excitation.

Les rangs se vident et les deux adultes sont toujours incapables de bouger. Pierre finit par lui tendre la main pour l'accompagner jusqu'aux escaliers et la guider silencieusement dans le hall d'entrée. Il est heureux de pouvoir à nouveau glisser ses doigts dans sa paume chaude.

Elle s'éclipse rapidement pour aller récupérer sa veste. Il est incapable de détacher son regard de son élégante robe de soirée d'un bleu profond qui contraste magnifiquement avec la teinte délicate de sa peau toujours aussi pâle et il est rassuré à l'idée que certaines choses n'ont manifestement pas changé.

Il serait bien incapable d'en dire autant de sa démarche assurée et gracieuse qui témoigne de sa confiance en elle. Asha se tient droite, révélant une posture élégante et une allure fière qu'il ne lui connaissait pas. Son corps est subtilement mis en valeur par de légères incrustation de dentelles le long de son décolleté, détails délicats soulignant sa féminité qu'il se surprend à admirer.

Il revient à la réalité quand elle s'approche de lui, et Pierre lui offre son bras qu'elle accepte volontiers. Il ne sait pas vraiment à quoi ils sont en train de jouer. Après tout ce temps, ils ne sont sûrement que deux étrangers.

Le pilote récupère ses clefs auprès du voiturier.

« Je peux... Je peux te ramener ? demande-t-il. »

Elle hoche la tête et lui donne l'adresse de son hôtel mais leur échange s'arrête aussi vite qu'il a commencé. Ils sont d'une folle timidité, encore sous le choc de cette rencontre fortuite et sans doute effrayés à l'idée de briser cette image qui subsistait seulement dans leurs esprits.

La voix du GPS les sort de leurs pensées. Ils sont arrivés et ils n'ont pas réussi à en profiter. Ils se fixent, cherchant à décrypter le regard de l'autre et agir en conséquence. Pierre et Asha sont de retour dans cette bulle qu'ils ont quitté il y a trente-deux ans et plus rien ne semble pouvoir les en sortir. Ni les klaxons des conducteurs énervés qui patientent derrière eux, ni le bruit de la pluie qui s'abat sur la capitale française. Il n'y a que cette douce mélodie qui s'échappe de la radio.

REMÈDE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant