Révélations ?

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 J'étais allongée. La seule chose que je percevais, à part la douceur des draps dans lesquels j'étais enveloppée, c'était une odeur riche et forte qui embaumait la pièce. J'avais l'impression de retrouver un parfum que j'avais l'habitude de sentir, sans me rappeler où. Où étais-je en ce moment précis, d'ailleurs ? Une brise me fit frissonner. J'ouvris les yeux. On m'avait mise dans une pièce au murs nus, avec pour seul ornement une icône représentant la Sainte Vierge sur le mur en face, et un écriteau invitant à se laver les mains régulièrement sur la porte, dont la peinture blanche s'écaillait. La fenêtre était ouverte, et laissait passer l'air frais. Je me pinçai légèrement le bras. Je vivais.

La vision de la mère d'Elise me tendant avec ce grand sourire sucré le gâteau à la belladone me revint soudain. Sur ma montre, il était dix heures. Mais de quel jour ?

On avait voulu me tuer. Mais j'étais encore vivante. Me tuer. Qu'avais-je fait, je n'avais même pas douze ans ? Je voyais aussi bien que d'habitude, et ressentais au fond de moi cette formidable énergie qui me faisait bouger. Je ressentais la vie.

Je voulus m'attacher les cheveux. Mon front était gras de la substance qui embaumait la pièce de l'odeur forte. Je sortis des draps blancs. Il fallait absolument que je sache où j'étais. Un gilet en laine prune était accroché sur la chaise en bois à côté du lit. Il appartenait à maman.

La porte s'ouvrit. Une infirmière blonde aux yeux bleus, au teint de porcelaine et aux bras potelés comme ceux des poupées avec lesquelles je jouais quand j'étais petite :

« Retourne dans ton lit, tu es trop faible, m'ordonna-t-elle d'une voix sèche.

– Où suis-je ? demandai-je en lui obéissant

– A l'infirmerie, répondit-elle comme si la réponse devait être évidente.

– J'ai dormi combien de temps ?

– Tu as perdu conscience à dix-heuf heures hier.

– J'ai perdu conscience ?

– Si je te le dis. »

Sans crier gare, elle posa sa main glacée sur mon front. Aucune expression ne passa sur son visage. Elle prit ma main et posa ses doigts sur les veines de mon poignet pendant de longues secondes :

« Je ne suis plus malade ?

– Tais-toi, j'essaie de prendre ton pouls. Tu es censée être en dehors de tout danger. Sauf si tu remanges de la belladone. On ne t'a jamais appris à faire la différence avec les myrtilles ? Je vais chercher ta mère. »

Personne ne devait être au courant que j'avais été empoisonnée. L'infirmière quitta la pièce. Je restai assise sur le matelas. Maman était venue me voir, alors que ma nouvelle petite demi-soeur était née à peine quinze jours plus tôt. La porte se rouvrit, et une vague de bonheur me submergea quand je reconnus maman avec une chemise blanche et une jupe longue violette comme elle en portait d'habitude.

La jupe faisait ressortir les cernes violacés qui s'étiraient sous ses yeux dorés. Je me sentis coupable. Elle était fatiguée à cause de moi. Elle s'assit sur le bout de mon lit que je ne touchais pas avec mes pieds, et me prit la main. Elle la tourna et la retourna, comme pour s'assurer qu'elle était bien réelle et non un fruit de son imagination :

« Tu es réveillée...Si tu savais la peur que j'ai eue !

– Je suis désolée, maman...

– Ce n'est pas de ta faute...C'est tout sauf de ta faute...C'est même un peu la mienne.

- Pourquoi ? 

- Je n'aurais jamais dû te laisser approcher si près les Maisonneuve...Ce n'est pas la première fois, en plus...

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant