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S'il était bien connu dans la famille qu'Arthur avait une mémoire semblable à celle d'une passoire, celle de Paul, son frère cadet, était bien meilleure, à tel point qu'il lui arrivait de se souvenir pour les autres. Mais si sa bonne mémoire lui rendait bien des services dans le cas de révisions, Paul en avait un peu ras-le-bol de faire office d'agenda sur pattes ou d'homme à tout faire pour sa mère, ses frères aînés, et maintenant Constance. Tout ça parce qu'il passait pour quelqu'un de serviable. 

Ce week-end, il avait décidé de se rendre à Lyon, participer à une séance d'un groupe de prière dont faisait partie son amie Clélie de Charenton, au 49 de la montée du Chemin Neuf. Ses parents pensaient qu'il venait simplement rendre une visite de courtoisie à la tante Clotilde, qui projetait de faire de lui le parrain de son cinquième enfant. Ce qui n'était pas faux. Il irait vraiment dormir chez son oncle et sa tante. Même si Clélie lui avait proposé de l'héberger, Paul avait eu un peu de pitié pour ses parents, enfin surtout sa mère. Si jamais elle apprenait un jour les penchants charismatiques de son fils, elle serait choquée. En colère, peut-être. Mais si jamais elle apprenait que Paul était allé dormir chez une fille de sa classe...il risquait d'être déshérité. 

Au départ, il avait préféré garder ses penchants pour les groupes du renouveau charismatique pour lui. Il considérait comme légitime d'avoir son jardin secret, sans que ses grands frères viennent y fourrer leur nez. Jean avait découvert le pot-aux-roses parce que Bathilde Pellent avait dit à sa sœur aînée qu'elle l'avait vu à une session de prière à Taizé, et Clothilde Pellent l'avait raconté à son petit ami, qui n'était autre que Jean. Mais en soi, c'était le moins pire. Jean lui avait avoué ses penchants pour le communisme, ils avaient convenu de chacun conserver le secret de l'autre. Sauf que ce gros débile de Jean avait laissé traîner des preuves évidentes de son affiliation aux communistes dans sa chambre, donc maintenant Arthur était au courant de tout.

Arthur avait tout le temps été, historiquement, plus allié aux parents qu'à ses frères cadets. Jean l'avait déjà traité une fois de "collabo", ce qui avait occasionné une bonne bagarre entre les deux gravée dans l'esprit de Paul. Mais même s'il n'allait pas jusqu'à insulter son frère aîné, il savait qu'il ne valait mieux pas trop lui confier des histoires intimes. Pour l'instant, Arthur n'avait pas révélé la véritable nature de ses déplacements aux parents, mais une "boulette", une "étourderie" et c'était fini. Et Paul était sûr que Constance savait quasiment tout ce que savait Arthur. Les deux cousins restaient tout le temps collés ensemble aux réunions de famille aux Trois-Buttes.

Constance, à défaut d'avoir des parents stables, était la petite-fille la plus proche de ses grands-parents, encore plus austères que les parents de Paul. Le fait qu'il fréquente Clélie ne poserait aucun problème aux yeux de Bon-Papa et Bonne-Maman, après tout, s'ils rêvaient de voir Alexandra avec un des fils d'Artigny, il apprécieraient encore plus le fait qu'il fréquente une des filles de Charenton, une très bonne famille. Mais le fait qu'il mente à ses parents ne passerait pas aux yeux de Bonne-Maman. Véritable police familiale, elle voyait tout comportement qui sortait du cadre du comportement normal d'un aristocrate de province comme une menace à l'unité de la famille.

Tout cela avait mené à une conversation entre les deux cousins, à la sortie d'un repas de famille du jeudi à Saint-Thomas. Constance l'avait attrapé par la manche de sa veste avant qu'il n'ait pu retourner dans le secteur des collégiens :

« Paul, j'aurais un service à te demander ! »

Un grand sourire, un regard lumineux. Celui qu'elle utilisait pour lui demander de surveiller au mieux la petite Lucie, au pire les jumeaux, quand ils étaient en vacances aux Trois-Buttes.

« J'ai appris que tu te rendais à Lyon ce week-end, avait-elle commencé.

– Chez la tante Clotilde, elle veut que je devienne le parrain de son numéro cinq, tu le sais.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant