Parce qu'au contraire de sa cadette, Cléo s'est extraite de la prison mentale dans laquelle elles ont grandie. Elle s'est rebellée et s'est appliquée à devenir l'exact opposé de ce qu'elle était enfant. Elle est tombée amoureuse de cette sensation de liberté dès qu'elle a pu y goûter. Et désormais, elle fait tout pour l'exploiter à nouveau. Pour en profiter au maximum. A chaque seconde. Quoiqu'il en puisse lui en coûter.

Elle aime affronter le danger. Et tant pis ça lui cause quelques fractures. Ça ne lui permet que de ressentir davantage ce sentiment addictif que lui procure le lâcher-prise.

Mais c'est là que réside tout le problème. L'adrénaline est une soif dévorante. Un besoin insatiable. Et elle se retrouve à repousser sans cesse ses limites. Elle a trop souvent goûté au calme et à la tranquillité. Elle s'est sentie lésée. Trop longtemps prisonnière de cet esprit étriqué. Alors elle s'est lancée dans une quête qui ne finira jamais. Parce qu'il y aura toujours de plus grandes sensations à aller découvrir. À aller chercher.

Et c'est en ça que Cléo se sent terriblement chanceuse d'être tombée sur le pilote français. Elle l'envie presque. Parce que lui a cette possibilité de côtoyer le danger à chaque virage. Parce que son métier lui sert ce shoot d'adrénaline régulier auquel la jeune femme est désespérément subordonnée.

Mais en agissant ainsi, elle ne voit pas le mal qu'elle cause autour d'elle. Elle ne voit pas qu'elle entraîne ses proches dans sa course perverse vers un dessein que jamais elle ne pourra pourtant pleinement satisfaire. Elle idolâtre Pierre qu'elle croit sans peur et sans faiblesse. Et elle se reconnaît en lui.

Ce n'est pourtant qu'un mirage. La jeune femme devrait savoir que tout n'est que paraître. Tout le monde a son propre bouclier, une façon de se protéger et de masquer tout ce qu'il souhaite cacher. Pour tenir le monde à distance. Pour se donner une certaine prestance. Et ainsi ne montrer que son excellence.

La jeune brune sait que le monde peut être impitoyable. Et elle-même a appris qu'exprimer ses émotions est une faiblesse à éviter. Alors elle a appris à dissimuler sa vulnérabilité derrière un masque de contrôle, de maîtrise de soi et surtout, de joie. C'est cette image qu'elle renvoie aux gens. C'est cette image qu'elle s'est forgée et qu'elle s'efforce de dévoiler au monde entier.

Tous trois ont chacun leurs problèmes à régler, mais ça semble être la dernière de leurs priorités. Ils survivent comme ils le peuvent dans leur négativité qu'ils semblent effrayés de quitter. La peur de se tourner vers un monde qui leur est, en ce moment, étranger. Et qui paraît surtout inaccessible. Et qu'il leur est impensable de dévoiler leurs vérités. D'affronter la réalité de leurs pensées.

La voiture finit par s'arrêter devant la bâtisse et interrompt le flot de leurs idées. Ils sortent du véhicule et continuent de se murer dans ce silence qui leur a permis de s'évader. Ou plutôt de se noyer dans leur négativité.

Pierre s'arrête avant de passer le portail de la propriété. Il hésite. Il est encore temps de s'éclipser. D'échapper à ce malaise qu'il sent lentement enfler mais qu'il devine être terré là depuis des années.

« Je... »

Il commence et s'apprête à se montrer lâche pour une fois. Il tente de se persuader qu'il n'a rien à prouver. Qu'il peut assumer de se dérober. Mais les mots refusent de franchir la barrière de ses lèvres alors qu'il croise le regard bleu des deux soeurs désormais tournées vers lui. Ils les toisent de sa toute sa hauteur et pour la première fois, ce n'est pas leur ressemble qui le frappe. Mais bien leurs différences.

Leurs regards dont la disparité d'émotions est criante. Et ce bleu unique, si intense.

Leurs visages dont les traits sont puissants mais terriblement divergents.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now