Avant de se tourner vers lui, elle porte ses mains à ses joues, sûrement pour sécher les larmes qu'elle ne veut pas lui montrer par pure fierté. Sentiment empoisonné. Elle se redresse et il lui tend simplement sa liste qu'il a reconstituée grâce à de grossières bandes d'adhésif.

Elle a couché ses rêves sur ce papier et d'une remarque acerbe, Cléo les a fait voler en éclats. Le pilote veut lui montrer qu'il veut l'aider à les recoller. Il veut lui prouver que réaliser ses souhaits restent une possibilité.

Il se trouve stupide alors que ses yeux noirs se posent sur la feuille rafistolée. Il sait que c'est bien plus que ça. C'est ce dont elle a besoin pour se construire. Ce sont les étapes qu'elle doit réaliser pour parvenir à avancer.

Son bras est toujours tendu et il l'implore silencieusement d'accepter cette promesse. Elle doit décider par elle-même si elle a envie de continuer ce qu'elle a entrepris. La main de la jeune femme s'avance, tremblante. Le pilote ne comprend pas ce qui lui fait si peur dans les mots qu'elle a écrits. Ils cachent un malaise profond dont personne ne semble se soucier.

En quelques échanges, il s'est aperçu combien Asha était esseulée. Et sa sœur était loin d'être un pilier. Elle n'avait jamais rien fait d'autre que l'enfoncer. Alors il voulait être celui qui lui tendrait la main pour l'aider à remonter. Pour lui permettre de voir le soleil briller à la surface. Pour qu'elle remarque toutes ces merveilles que la Terre a créées.

« C'est gentil de t'être donné cette peine. Mais ça ne sert à rien. Elle a raison, je ne pourrais jamais faire tout ça. Il est peut être temps que j'arrête de vivre dans un conte de fées. »

Son ton est amer mais il lui semble ne déceler aucune colère. Elle est simplement résignée. Il pince les lèvres, frustré. Pierre voit son regard brisé et nourrit une haine contre le monde entier. Et particulièrement contre son aînée. Il a l'impression de revoir la Asha du début de l'été. Tous les progrès qu'elle a faits ont été si facilement effacés. Oubliés.

« Pourquoi tu ne le pourrais pas ? Il te suffit de le décider, lance-t-il en sachant très bien que la situation est bien plus compliquée qu'il n'y parait. Mais il est excédé de ne pas comprendre le tableau dans son entièreté.

- Tu ne connais pas mon histoire.

- Alors raconte-la moi, intime-t-il. »

Il croit qu'elle va se contenter de refuser. De dresser cette frontière qu'elle a bâtie pour se protéger du monde extérieur. Mais au lieu de ça, elle lâche un profond soupir et s'assoit de nouveau sur le sol froid. Le châtain prend son geste pour une invitation et l'imite. Il ne la lâche pas du regard alors que le sien est perdu dans le vide, fixant un point à l'horizon qui lui donne sûrement du courage pour se livrer à lui.

« Mon prénom a une signification, commence-t-elle. Mes parents l'ont précisément choisi pour ça. Ils avaient déjà  réfléchi quand ils ont opté pour Cléo. Et c'est bien trouvé. Son étymologie est gloire. Elle marque une pause pour se concentrer sur son récit. Asha veut dire espoir.

- C'est une belle signification, commente-t-il en pensant que celle de son prénom n'est pas porteuse d'une valeur aussi forte. Elle laisse échapper un rire nerveux.

- C'est un fardeau. Il blêmit en comprenant sa maladresse. Tu as dit que je ne savais pas ce que ça pouvait bien faire d'être remplacée. De passer au second plan. »

Elle fait référence à leurs adieux de la fin de l'été. Elle plante ses yeux sombres dans les siens, ce qui le déstabilise. Il a prononcé ces mots sous la colère. Il ne les pensait pas. Il conçoit que sa vie est effacée, en comparaison à celle que mène Cléo. Et mille pensées lui viennent en tête. Il n'a pas la moindre idée de ce à quoi a pu ressembler son enfance avec une sœur gravement malade.

« Je suis désolée si je t'ai blessée, avoue-t-il. Ce n'est pas une raison, mais je venais de voir mon rêve s'éloigner...

- J'ai passé ma vie en retrait, elle détourne à nouveau le regard et reprend sans même écouter ses excuses. C'est vrai, ma sœur a été très gravement malade. Et quand je suis née, j'ai été une source de joie. Ils ont pu prélevé le cordon ombilical, et puis plus tard, quand elle rechutait, j'ai fait un don de moelle osseuse. C'est pour ça qu'elle est en rémission aujourd'hui. Ma naissance lui a sauvé la vie. »

Pierre ne saisit toujours pas ce qu'il y a de tragique dans cette histoire qui semble bien se terminer. Et il sait qu'il lui manque un morceau du puzzle pour que les deux sœurs soient incapables de s'entendre. Asha fait silence et il ne sait quoi dire. Alors il se lance.

« Je ne vois pas où est le problème. Cléo est en vie. Elle est en rémission. Vous devez en profiter pour être heureuses.

- Elle n'est pas guérie. Depuis, je lui ai aussi donné du sang. Et un bout de foie. Qu'est-ce que ce sera la prochaine fois ? Il s'approche d'elle pour poser ses doigts sur les siens et presser sa main alors qu'elle retient ses larmes. Le peu de temps qu'il a passé à ses côtés lui a prouvé qu'elle était bien des choses, mais sûrement pas égoïste et envieuse.

- C'est un beau geste. Tu es incroyablement généreuse. C'est une chance que vous soyez compatibles non ?

- Ce n'est pas un coup de chance. Et tant mieux. Si j'étais née, et que mon ADN ne correspondait pas au sien, j'aurai dû porter un fardeau encore plus lourd. Elle déglutit difficilement. Et il la fixe. Perplexe. Perdu. Mais ça ne pouvait pas arriver. Rien n'a été laissé au hasard. Quand j'ai été conçue, on savait déjà que je pourrais lui donner tout ce dont elle avait besoin pour survivre. Je suis précisément née dans le seul but que ma sœur puisse guérir. Elle reprit sa respiration. Je suis un enfant-médicament, Pierre. Je suis un enfant du double espoir. Ou plutôt, du dernier espoir. Asha. »

...
C'est le tout premier chapitre que j'ai écrit... il me tardait de vous le partager. J'espère qu'il vous a plu.

Les pièces du puzzle s'imbriquent.
Bravo à aaaammm__ et à Akhe59 qui avaient repéré les indices et deviné.

REMÈDE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant