/🌿/ Soupe d'orties

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Charly m'a préparé le petit-déjeuner. J'étais plongée dans un sommeil si profond et réparateur que je faisais complètement abstraction du son et lumière qui se montait dans ma cuisine. C'est finalement l'odeur qui m'a réveillé et m'a poussé à me lever. Mais face aux horribles douleurs qui me lacéraient le dos, j'ai commencé ma morning routine par une très –très– longue douche tiède. On s'est ensuite badigeonné de crème avant d'attaquer ces "French Toast". Je n'en avais jamais mangé et mon Dieu que c'est succulent ! Je me demande si c'est vraiment français. Ça ne m'étonnerait pas vu comment ils sont doués pour la cuisine.

Ça me fait penser à ce que j'ai écrit, il y a quelques jours. Mon arrivée dans le village, ma rencontre avec Charly, tout ça. Plus j'y pense, plus je me dis que ce n'est clairement pas une bonne idée de partager ce que je vis ici. Même si l'histoire est bien trop fantastique pour être prise au sérieux et même si je la localise en France... On ne sait jamais. Je ne veux vraiment pas que le monde pointe la ville du doigt. C'est déjà un miracle qu'un tel endroit soit passé sous les radars depuis presque deux-cents ans.

Charly a d'elle-même pris une douche, enfilé de nouvelles fringues –à moi ça va sans dire– et s'est mise à cuisiner. Cela ne me dérange pas tant que ça et c'est justement ça qui me dérange. Même si ça ne fait qu'une grosse semaine qu'on se connait, vu qu'on passe tout notre temps ensemble, j'ai vraiment l'impression qu'on est amies depuis des années. Je ne suis même pas sûre d'avoir déjà été aussi proche de quelqu'un.

C'est con, mais malgré la douleur, la peur et le bordel qu'est devenue ma vie, je crois que je suis heureuse. Quand j'ai ouvert les yeux tout à l'heure, je me suis réveillée avec le sourire. C'est un détail si minime qu'il est facile d'oublier à quel point il est précieux. Quelque chose d'autre illumine ce tableau, c'est cette impression d'avoir enfin un "chez-moi". Avec le recul, je réalise que cela ne m'est jamais réellement arrivé. Ni chez mes parents ni chez l'autre enfoiré. J'imagine qu'il vaut mieux avoir des démons comme voisin que comme colocataire.

La seule chose qui m'effrayait réellement en m'installant ici, c'était la solitude. Autant dire qu'avec Charly, je n'ai pas eu le temps de me familiariser avec ce sentiment. J'ai beau chercher une certaine indépendance, ça me fait du bien d'avoir une présence près de moi. Surtout vu le danger qui rôde en permanence.

Mon verre de jus d'orange descend d'une traite. On a encore quelques heures à tuer avant d'aller à la bibliothèque. Mon corps me surprend, je crois qu'il s'est habitué à ce mode de vie nocturne. Peut-être suis-je née pour être un vampire après tout ? Alors que je me pose cette question existentielle, un bâillement vient m'ouvrir la mâchoire et me fermer ma gueule.

Non, vraiment une idée de merde de vivre la nuit.

« Tu veux qu'on fasse quoi en attendant ?

— Qu'on baise ! »

Oh bordel j'ai rien dit vivement quelle se barre !

***

La nuit est tombée. J'ai troqué mon amie contre un guépard et on s'en est allé, direction la bibliothèque. Adam et June attendaient déjà devant. Honnêtement, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est la forme animale de June. Charly m'explique qu'elle est une Civette palmiste brune... Autant dire que ça ne m'aide pas du tout. Elle doit faire environ 40 cm de longueur, avec une queue aussi longue que son corps et des petites pattes. On dirait un gros furet avec un museau plus pointu et un pelage marron foncé. Seul le bout de sa queue est jaune, j'imagine donc que c'est une sorte de teinture.

On s'attèle tous les trois à la tâche. Chacun prend un livre de la réserve et on se met à lire en diagonale à la recherche d'informations utiles. Lorsqu'un client rentre, le grognement de la porte nous laisse juste le temps de cacher nos livres et de faire semblant de discuter. La supercherie est bien rodée, bien que peu respectueuse. Une bibliothécaire n'est pas censée transformer son lieu de travail en salon de discussions après tout. Mais je suis déjà tellement détestée de toute manière, je ne suis plus à ça près.

Là où se terre le diableWhere stories live. Discover now