17 🎄 Le Bal de Noël

Start from the beginning
                                    

-Bonne soirée, papa, l'interrompit l'intéressée d'un ton appuyé en ouvrant la portière.

-À toi aussi, lança ce dernier avant que la porte ne claque pour se refermer.

Aussitôt dehors, le froid s'empara vicieusement de la jeune fille malgré son manteau, glissant le long de ses jambes nues et se faufilant dans le moindre interstice de l'épaisse étoffe. Les pieds d'Alicia, chaussés d'escarpins argentés, s'enfonçaient dans la neige alors que l'adolescente se maudit de sa stupidité. Au fond, c'est le choix de saison pour un bal, qui est idiot, songea-t-elle en grimaçant. C'est chouette, un bal de Noël, jusqu'à ce qu'on réalise qu'il neige déjà une semaine avant les fêtes. Baissant la tête pour éviter que les flocons ne fondent sur son visage, elle s'approcha du bâtiment à grandes enjambées, priant pour qu'une plaque de verglas ne se cache pas sous la couche blanche et moelleuse qui s'étendait sur le béton.

Lorsque le claquement des talons hauts sur le carrelage du couloir se substitua au doux crissement de la neige, Alicia ôta son manteau pour le déposer dans les vestiaires. Alors qu'elle le suspendait au crochet, elle remarqua une veste en jean déchirée à plusieurs endroits stratégiques dans la manche de laquelle était fourré un bonnet rose fuchsia. Sans même s'interroger sur l'identité de leur propriétaire, un sourire se dessina sur les lèvres de l'adolescente. Sa robe bleu pâle lui semblait bien insipide, à côté de la vivacité de la laine partiellement dissimulée ; mais la simple idée de sa présence éclaira son visage pendant quelques secondes. Tel un rai de soleil, elle dissipa instantanément la morosité de son esprit.

S'arrachant à sa fascination étrange, Alicia quitta les vestiaires pour se rendre dans la salle principale, grouillante de monde. La chaleur de la masse humaine l'attaqua pour contraster avec le froid extérieur, sans pour autant aviver son cœur, déserté de toute sérénité depuis qu'elle avait quitté la voiture de son père. Se composant un sourire de façade pour rassurer ceux qui la côtoyaient sans même la connaître véritablement, elle se décida à avancer lentement, avec l'étrange impression d'être une funambule déséquilibrée par un vent puissant ; prête à tomber dans un gouffre à tout instant.

Entourée des dizaines d'élèves de son lycée, se frayant un chemin parmi la foule dans la salle bondée, Alicia était seule. Elle souriait à ceux qu'elle croisait et rendait de vagues signes de main en guise de salut, consciente que la solitude qu'elle éprouvait paraissait égoïste lorsqu'elle la comparait à celle que d'autres vivaient réellement. Pourtant, ce sentiment l'entravait, resserrant son étau autour de son cœur un peu plus chaque jour, emprisonnant ses pensées dans les barrières de son esprit, taisant les paroles qu'elle brûlait de prononcer. Isolée dans la cohue, tapie dans les méandres de son esprit. Entourée, mais terriblement incomprise.

L'adolescente ignorait comment les choses en étaient arrivées à ce stade, comment elle avait pu prétendre si fort être une autre personne qu'elle ignorait comment faire machine arrière et se réaligner avec elle-même. Elle était un instrument désaccordé qui ne jouait plus que de fausses notes, une peinture dont les pigments se délavaient au soleil. Un bourgeon qui se flétrissait sous l'attention inadéquate qu'on lui portait. La totalité de son problème résidait d'ailleurs en ce simple fait : on l'aimait... ou plutôt, on aimait celle qu'elle prétendait être. Quelle hypocrite je fais ! se sermonna-t-elle. Alicia avait toujours clamé haut et fort qu'elle s'affirmerait en étant fidèle à elle-même ; et pourtant, elle s'effaçait peu à peu dans le revers peu flatteur de sa personnalité, se laissant dicter ses pensées sans arriver à s'y opposer.

Parce que son corps lui donnait l'aspect fragile et délicat d'une fleur, il avait été décidé pour elle qu'elle ne pouvait se montrer aussi déterminée et forte qu'une tempête. Pourtant, alors qu'elle observait ceux qui se prétendaient ses amis, des fissures fendillèrent cette armure de sécurité qu'elle s'était forgée. Se faufilant insidieusement dans ces interstices, le flot de son courage s'épaissit, grossit, et s'agita pour devenir un torrent bouillonnant de révolte et d'indignation. Brisant le barrage de calme et de platitude qui s'était peu à peu construit dans le cœur de l'adolescente, le flux se mua en vague et se déversa dans ses veines pour balayer la façade qu'elle s'était imposée et réveiller celle qu'elle était réellement.

Calendrier de l'Avent 2022 [Terminé]Where stories live. Discover now