Chapitre 2 - Daphné

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L'aube point. Plus que quelques heures. Je regarde le soleil éclipser les dernières ombres avec regret. Il est temps de me préparer à y aller. Ces deux derniers jours sont passés à une vitesse fulgurante, je n'ai pas vu le temps passer, trop occupée à courir à droite et à gauche pour le compte d'Artémis qui avait apparemment décidé de nous surexploiter jusqu'au Rassemblement. Ce Rassemblement est tout de même intrigant, il signifie que ces dieux prétentieux nous considèrent au minimum comme une potentielle menace. Je dois avouer que ça a un côté flatteur.
Je descend de mon perchoir habituel pour rejoindre ma sœur qui m'attend. Je fouille dans mes affaires, à la recherche d'un quelconque objet pouvant m'être utile. Maintenant que j'y pense, je doute avoir besoin de quoi que ce soit qui constitue mon attirail habituel - à savoir des couteaux de chasse, mon arc, une corde, un manteau de daim et une besace contenant tout un arsenal d'objets en tous genres plus ou moins indispensables. Je doute également qu'ils nous laissent nous balader avec des armes mais je décide néanmoins de garder cachée sur moi une petite dague, espérant ne pas avoir à m'en servir. Être délestée de mon équipement me procure une sensation étrange et désagréable. J'ai la curieuse impression de me séparer d'une partie de moi, presque de manière définitive. C'est ridicule, après ce Rassemblement Orséis et moi retourneront à notre quotidien et nous attendrons le Soulèvement.
Je sors de notre abris et voit Orséis qui m'attend, elle aussi équipée plus simplement que d'habitude, elle porte en bandoulière un sac en peau contenant un outre d'eau et quelques morceaux de viande séchée. Sa présence me rassure, je ne suis pas seule. Je la rejoins et nous nous mettons en marche après avoir jeté un dernier regard en direction de notre grotte. Le mont Olympe se situe à une demi-journée de marche de là où nous résidons.
Cela fait plusieurs heures que l'on marche en silence sans s'arrêter. J'aperçois une source et interpelle Orséis qui marche devant moi pour que nous fassions une pause. Elle acquiesce et je vais m'agenouiller près du ruisseau pour me rafraichir.  Ma sœur pose son bagage au bord de l'eau et m'indique qu'elle va chercher du bois pour faire du feu. Ça devrait aller, les seules créatures susceptibles de repérer la fumée dans cette forêt qui s'étend sur plusieurs lieues sont inoffensives ou maitrisables à deux. Je remplis notre outre d'eau et commence à boire. C'est alors que je perçois un mouvement infime du coin de l'œil. Tous mes sens s'aiguisent d'un coup et mes muscles se tendent. Je fais mine de n'avoir rien vu et avance lentement ma main vers ma ceinture pour attraper le manche de mon couteau. D'un coup, je bondis et presse la lame contre la gorge de l'intrus qui pousse un hoquet de surprise. Ou l'intruse plutôt. Elle me fixe avec un regard outré avant de me repousser avec force. Toujours méfiante je garde la dague à la main avec une attitude menaçante. L'étrangère se met à parler :

"Eh bien, les seules visiteuses auxquelles j'ai droit sont des rustres, dit-elle avec irritation.

- Qui es-tu ?

- Œnone, Pégaside et nymphe de cette source, me répond-elle excédée.

- Daphné.

Elle hausse un sourcil.

- Nymphe sans attache, je soupire.

- On ne voit pas ça tous les jours. Enfin il faut dire que je ne vois pas grand monde non plus. Cela fait longtemps que je n'ai pas vu de voyageur, et puis, s'aventurer jusqu'ici ne présente pas vraiment d'intérêt.

Elle marque un temps, pensive, et poursuit :

- Que viens tu faire par ici Daphné la Nymphe Vagabonde ? N'y avait il pas quelqu'un avec toi ?

- Ma sœur, Orséis.

- Tu ne parles pas beaucoup dis moi.

Je hausse les épaules. Révéler certaines choses à une inconnue pourrait s'avérer dangereux.

- Je vous ai vues vous diriger vers le nord. Vous voyagez en direction de l'Olympe il me semble. Serait-ce en raison de cette... réunion des dieux ?

- Tu m'as l'air bien au courant pour quelqu'un qui ne voit personne.

- Les arbres parlent beaucoup.

- De quoi d'autre es-tu au courant ?

- Puis-je vraiment te le dire ? me sourit-elle. Je sais que les divinités mineures s'agitent et que ça inquiète les dieux. Alors qu'est ce  que deux nymphes, qui plus est des recluses comme vous, iraient faire à un tel rassemblement ?

- Pourquoi serions nous des recluses ? dis-je, piquée au vif.

- Les Vagabondes sont souvent des recluses. Mais tu n'as pas répondu.

- Très bien. Nous sommes avec Artémis.

- Artémis... Elle fait partie des rares divinités proches de nous. 

- Si on va sur l'Olympe avec elle c'est pour... parler de notre condition à toutes, dis-je avec prudence.

- Laisse moi rire. C'est pas ces euruprôktos lourds de vin qui vont changer quoi que ce soit. Ça les arrange bien d'ailleurs d'avoir l'ascendant, pouvoir nous violer et nous humilier impunément. Et quand il n'en ont plus rien à faire ou qu'on devient gênantes ils nous laissent mourir dans l'oubli et la honte ou nous tuent sans autre forme de procès, crache-t-elle avec venin.

Elle débite ça avec une telle rage que je doute qu'elle ne soit pas sincère. Je décide de lui faire confiance.

- En réalité nous avons pour projet de rallier les déesses et les nymphes en profitant de ce Rassemblement.

- Les rallier... tu parles du Soulèvement ? demande-t-elle les yeux écarquillés.

- Tu savais pour la révolte ?

- Je... oui, j'ai cru en entendre parler.

Je la sens évasive et hésitante.

- Et donc tu-

- Daphné !

Je me tourne et voit ma sœur débarquer les bras chargés de branches sèches. Elle me sourit et me rejoint, le visage serein. Perplexe, je me retourne vers Œnone que ma sœur n'a pas l'air d'avoir remarquée. Disparue. Je suis un peu désorientée mais décide de ne pas en parler à Orséis. Cet échange était un peu étrange mais rien d'alarmant. Je regarde ma sœur et lui sourit. Nous nous attardons quelques heures pour nous reposer puis repartons car le Rassemblement doit débuter au coucher du soleil. Nous marchons sans nous arrêter jusqu'au pied du Mont Olympe, le soleil commence à décliner, Hélios est en fin de course. Nous devons nous dépêcher de gravir la montagne pour atteindre le sommet où Artémis nous attend. Sans elle ou sans autorisation explicite de l'un des Douze nous ne pourrons franchir le seuil du palais des dieux sans être expressément foudroyées. Orséis ne ralentit même pas et entame la montée, plus déterminée que moi. Je m'engage sur le sentier escarpé à sa suite en soupirant. Cette montagne est infernale ! Je manque à plusieurs reprises de tomber et de dévaler le flanc abrupt de la montagne en trébuchant sur les pierres tranchantes qui parsèment le chemin étroit mais je tiens bon. J'ai connu bien pire, ce ne sont pas de vulgaires cailloux qui auront raison de moi. Ce Mont est connu pour être un des plus hauts, escarpés et dangereux et ça ne m'étonne qu'à moitié. C'est vrai quoi ! Pourquoi dons choisir une colline facile d'accès ? Je suis sure que ça les amuse de nous regarder crapahuter et nous démener jusqu'à eux pour qu'ils nous renvoient d'où l'on vient si on ne représente pas un intérêt suffisant pour eux. Et qu'on ne me parle pas de "raison de sécurité" ! Leur porte infranchissable me parait bien suffisante ! Ma détermination redouble et je poursuis ma route à un rythme soutenu. Au bout d'un certain temps nous arrivons aux portes de l'Olympe, à bout de souffle. Elles sont spectaculairement grandes, leur surface en or lisse parsemé de fines gravures étincelle aux dernières lueurs du jour. Deux colonnes en marbre blanc colossales encadrent  les battants. Artémis nous attend au pied d'une des colonnes, inhabituellement vêtue d'un péplos blanc qui me laisse dubitative. Elle nous sourit d'un air entendu, de la résolution dans le regard, et nous invite à la suivre. Les deux portes s'ouvrent avec un fracas de tonnerre, émettant une vive lumière qui m'éblouit un instant. Nous pénétrons dans une sorte d'antichambre gigantesque. Ça y est, nous y sommes. Les derniers rayons du crépuscule disparaissent et laissent place à la nuit avant que les battants ne se referment, empêchant définitivement toute tentative de fuite désespérée. Le Rassemblement commence.


DaphnéWhere stories live. Discover now