Temet Nosce (Les Chroniques de Sorohar - T4) [MM/BL/Yaoi]

Chapitre 2

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9 octobre 1348 - Nouvelle Lune

À peine pénètre-t-il dans le sous-bois que Seiran perd son sang froid. Il lui semble s'être jeté dans la fosse aux serpents. Ses sensations décuplées par la peur, le plus petit événement prend des proportions énormes. Un craquement, le froissement des feuilles, un oiseau nocturne ? Une ombre, un mouvement dans les branches ou la silhouette d'un rocher dans la nuit ? Ce sont assurément des yōkai qui l'ont repéré. Il les voit partout, au point de ne plus savoir où regarder et d'en avoir la tête qui tourne. Il s'agite, s'essouffle. Son pas redouble, mais ses jambes peu habituées aux efforts physiques peinent à supporter son rythme. Seulement, le chemin qui le sépare du mont Osore est long et difficile. Ce n'est pas un trajet qu'on peut effectuer en quelques foulées. Il s'est engagé pour au moins deux jours. De fait, Seiran sait qu'il a tort de gaspiller son énergie en une course aussi chaotique. Qu'importe, il est résolu à ne pas s'arrêter, fonçant droit devant lui.

De longues minutes durant, il ne cherche qu'à mettre de la distance entre Hanano, lui et ces créatures de cauchemar qu'il suppose. Toute logique l'a quitté. Sa perception du temps s'en trouve altérée. Nord, sud, est, ouest ? Il ne saurait dire dans quelle direction il se dirige. En théorie, toujours dans la bonne. Dans les faits ? Il en est moins sûr. Seiran n'a peut-être fait que courir tout droit, il n'écarte pas pour autant la possibilité d'avoir pu dévier, à un moment ou à un autre. Sans compter que dans les ténèbres de cette marée végétale, tout se ressemble trop pour qu'il puisse compter sur le moindre repère. D'ailleurs, comment pourrait-il en avoir alors même que sa santé ne lui a jamais permis de quitter l'enceinte de la citadelle ?

D'Aokimori, Seiran n'en connaît que ce qu'il a lu dans ses livres et ce qu'on lui a raconté. La plupart du temps, des anecdotes tendant à diaboliser cet endroit. Ainsi raconte-t-on que les yōkai ne l'ont pas toujours habité. Au commencement, cette forêt luxuriante était synonyme de paix et de sérénité. On disait de ses eaux qu'elles avaient des propriétés médicinales. De ses arbres, qu'ils permettaient de purifier l'air ambiant. Tout aurait basculé lorsque la frontière entre le visible et l'invisible s'est déchirée. Une porte entre deux mondes qui rejeta des marées entières de créatures jamais vues de vie d'homme. Rapidement, elles tentèrent de se propager, d'envahir tout Edolane. Mais de courageux guerriers se réunirent pour leur faire barrage. À leur tête, cinq héros porteurs de noms qui s'inscrivirent dans les légendes du pays : Kuruizaki, Aki, Yokan, Tokonatsu et Shunkou. Une guerre s'ensuivit ; à la faveur de ces braves combattants qui permirent de confiner les monstres dans la forêt. Malheureusement, tant que la porte resterait ouverte, tous savaient que ce combat n'aurait jamais de fin. Il fallait trouver une solution.

C'est alors qu'était né le premier onmyōji : Shintaro Kuruizaki. Exorciste de son état, il avait découvert comment lutter et détruire les yōkai grâce à la création d'amulettes en papier marquées de mots magiques, de prières et de formules de conjuration. Il perfectionna sa technique et l'enseigna à ses disciples. L'onmyōdo était né. Poussant plus loin ses efforts, il parvint même à mettre au point un rituel qui lui permit d'insuffler son énergie. Les résultats furent prodigieux puisque la brèche se referma légèrement et entama sa régénération. Un processus très lent, qui dura des décennies. Toutefois, deux siècles plus tard, on rapporta qu'il n'en restait rien. Les yōkai encore sur Sorohar seraient donc les derniers et finiraient par disparaître au fur et à mesure des générations.

Dans l'attente de leur complète disparition, Hanano avait été bâtie et confiée à la gérance des héritiers de ces cinq capitaines qui avaient mené les assauts visant à protéger le royaume. Une sage décision. À ce jour, jamais ces cinq familles n'avaient échoué à contenir l'invasion. Et si la disparition des yōkai les plus dangereux tarde encore à se faire, il demeure que le reste du pays peut dormir sur ses deux oreilles grâce à cette cité tampon qui n'hésite pas à se sacrifier pour le bien d'autrui.