-Ce matin... Eden et Isaac n'étaient pas au camp à notre réveil... Et Isaac...

Sa voix se perd dans un soupir, me laissant devinerla suite de l'histoire. Il passe sous silence les taches de sang, les crocs dans la chair tiède, les cris, le combat, la lutte. La scène se joue dans ma tête, mon frère dévoré par la première personne qu'il s'autorisait à apprécier. Hurlant à la mort jusqu'à ce qu'elle l'emporte. Finnisant par s'éteindre, noyé par le flot de ses larmes. Restant là, déchiqueté par les dents acérées du Croisé. Et la rage monte en moi. Une rage contre lui, qui a ôté sa vie. Une rage contre moi même, qui l'a délaissé depuis des Lunes. Il est mort avec cette dernière image de moi, pensant que son sort me laisserait indifférente. Il est mort et je n'ai même pas pu l'embrasser une dernière fois avant... Je n'ai pas entendu ses dernières paroles, pas été là pour lui tenir la main, le rassurer car je sais que derrière son air courageux se cache un enfant terrorisé. A qui la faute ? Il est mort dans la solitude qui le hantait et tu es la seule qui puisse être blâmer.

Je me relève, n'entendant plus rien de ce qu'ils me racontent. Sourde du monde alentour, je me perds dans mes propres voix. Me retourne, faisant quelques pas maladroits vers le roux. Ses yeux absents ne m'affectent plus, la tristesse enivrante qu'il dégage m'est bien égale. Il m'a enlevé mon grand-frère. Il m'a enlevé la personne la plus chère à mes yeux. Tu ne lui montrais pas tant que ça... Toi tu la ferme, je m'occupe des remontrances pour cette fois. La colère qui boue en moi m'échappe, je ne la contrôle plus. Mais bon, qui est-il pour me reprocher de perdre le contrôle de moi-même ?

-Isaac avait raison, on aurait dû se débarrasser de toi il y a longtemps déjà ! Tu finiras par tous nous tuer, uns à uns. Chaque nuit tu emporteras l'un de nous, et peut être même que tu n'en sauras rien ! N'est-ce pas ? La bête sauvage que tu es ne peut être contrôlée ! Et je doute que ce soit lié à tes cornes, oh non, ce serait une bien trop bonne excuse ! Tu es pourri de l'intérieur, voilà tout !

Il ne dit rien, baissant simplement la tête. Le regard détruit, il se tasse sous chacun de mes mots. S'enfermant dans son mutisme habituel, son air abattu qui lui excuse toujours tout. Une folle envie de le voir se détruire lui-même me prend, juste pour qu'il ressente la douleur dans laquelle mon frère a succombé, boyaux à l'air face à cette bête enragée. Mais il y a pire que la douleur physique, la culpabilité. Elle ronge de l'intérieur et consume à petit feu. Les mots dévalant ma bouche à la même vitesse que les larmes sur mes joues, je ne pense plus, ma colère a pris la parole.

-Après tout, qu'espérer de mieux de quelqu'un qui a tué sa propre sœur ? Je lui crache, la voix posée et les yeux bouillants de mépris.

-Nathanaëlle ! Me hurle Sören en m'écartant d'un geste du bras. Ça suffit maintenant, ferme là !

Et d'un coup, la rage retombe, laissant place au néant. Au manque qui comprime ma poitrine. Les voix de mes camarades m'atteignent à nouveau. Et ses yeux, qui plongent dans les miens avec un profond désespoir. Je ressens presque jusqu'ici son cœur qui le torture, lui infligeant une douleur insupportable. Regarde ce que tu lui as fait, sombre idiote. Je l'ai achevé, éteignant la dernière lueur d'espoir à laquelle il pouvait encore se raccrocher.

-Je... pardon... je ne voulais pas...

-Lexie, c'est moi qui l'ai tuée ? C'est vrai ? C'est moi ?

Son regard s'est soudainement détaché du mien, cherchant du soutien dans ceux des autres. Sören s'approche de lui, s'assoit pour être à sa hauteur, et l'encercle de ses bras. Ses yeux de feu écarquillés, il tombe dans les bras du Corné, s'enfermant dans de nouvelles larmes qu'il ne connaît que trop bien.

-Sören... je suis... je suis un monstre, dit-il, la voix tremblante de remords. Isaac avait raison de penser ça de moi... regarde... Regarde ce que je leur ai fait !

OhanaWhere stories live. Discover now