Chapitre 5

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Dans la salle couverte de tapis de tatamis, il règne une ambiance tranquille que j'apprécie. Ici, on ne vient jamais me déranger, je peux donc déployer ma nature de « sauvage » -dixit ma mère- sans qu'elle paraisse tâche dans ce monde de snob. Pour me détendre, j'attrape un Bokken, une arme en bois anguleuse semblable à un katana, le tranchant en moins. Xander refuse de me laisser utiliser une vraie lame à cause de mon impulsivité.

Scandaleux, je sais.

Deux heures plus tard, mon corps me déclare forfait. Couverte de transpiration, j' assène un dernier coup de pied d'adieu au mannequin d'entrainement, suivi d'un coup de Bokken qui lui aurait probablement tranché la gorge s'il avait été humain. Cette séance de sport intensive m'a assez détendue pour encaisser un énième dîner ennuyeux en compagnie de parfaits inconnus.

Je suis prête. Enfin, après une bonne douche.

Je quitte l'aile des gardiens pour rejoindre ma chambre. Sur le chemin, ma mère déboule comme une tornade blonde, presque aussi stressante et dévastatrice qu'une vraie tempête.

— Phita, tu es répugnante !

— Merci.

— Dépêche-toi d'aller t'habiller et retrouve-nous dans la salle à manger.

Elle porte une élégante robe argentée en satin qui moule son corps parfait. Ce soir, elle va faire un malheur, comme d'habitude. Attendez, je suis peut-être un peu injuste, en réalité. À ma connaissance, elle n'a jamais cherché à remplacer papa. Ça a surpris du monde, moi la première, lorsqu'elle a repoussé le premier prétendant d'une très longue liste. Elle se contente de briller en société, de rester la magnifique veuve Néris inaccessible. D'un côté, je respecte son souhait de garder l'âme de papa auprès d'elle, d'un autre... comment se sentira-t-elle quand Thétis trouvera un mari et que moi, je deviendrai la meilleure gardienne de ce monde ? Seule, j'imagine.

Avant que cette élégante femme fatale tourne à l'angle d'un couloir, je demande :

— C'est en quel honneur ?

— Nous recevons quelqu'un d'important. Je compte sur toi pour ne pas gâcher ce dîner.

— Au singulier, donc ? Je vais donc ne pas avoir besoin de m'intéresser aux conversations de vieux croulants gâteux ?

Elle roule des yeux sans prendre la peine de me répondre. Son mépris pour ma question.

Après une douche rapide, je tente de démêler mes cheveux qui ont décidé de former un amas couleur blé, assez semblable à la crinière d'un lion. Assise face à ma coiffeuse, je passe ma brosse plusieurs fois au même endroit dans l'espoir d'être « présentable », comme me l'a demandé ma mère. Au bout de plusieurs minutes, mon propre regard me fuit pour rencontrer celui du portrait de mon père, au-dessus de la cheminée. Il m'a donné cette peinture quelques mois avant sa mort. Il porte l'une des cravates avec des oursons que je lui ai offerts pour rire quand j'avais treize ans. Il l'adorait. Je me rappelle son rire chaleureux lorsqu'il a ouvert le paquet, de son regard marron pétillant. Sa lumière me manque. Rodrigue Nérés m'observe avec une tendresse infinie, chargé d'un inépuisable amour. Dans ses iris, je peux deviner toute l'estime qu'il avait pour moi lors de son vivant. Tout le respect que je lui imposais malgré mon esprit rebelle.

Sa disparition continue de me briser le cœur. Quand je songe à lui, ce n'est pas à mon enfance heureuse, à nos balades sur la plage, à nos soirées qu'on passait à fabriquer des maquettes de bateau que je songe en premier. Non, la perte reste trop vive pour que je puisse me focaliser sur le bonheur. À la place, je le revois étendue sur son lit de mort, le teint livide, son regard triste déjà si loin.

💧Les dieux oubliés : Poséidon et Amphitrite💧Où les histoires vivent. Découvrez maintenant