LA PLEUREUSE

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- Un peu de sang-froid, mon garçon !

C'était la première phrase qui retentit aux oreilles de Claire lorsqu'elle atteint le bord de la Rivière. Cette dernière, mince et peu profonde, s'apparentait plutôt à un simple ruisseau mais Claire et ses deux amis l'avaient toujours appelée « la Rivière d'à côté ». C'était un long cours d'eau serpentant entre plusieurs champs herbeux et une vaste forêt dont elle traçait la limite. Il courait sur un parterre de galets, de feuilles mortes et de formes floues, cachées par l'opacité de l'eau. Par endroits, il s'élargissait et formait même de courtes cascades déferlant sur des rochers de tailles impressionnantes. Claire connaissait bien ces coins secrets pour y avoir souvent joué en compagnie de...

- Allez, t'y es presque !, répéta la voix du garçon.

Un voix que Claire connaissait bien et qui l'aida à localiser ses deux compagnons. Ceux-ci se tenaient à une centaine de mètres sur la bordure de la Rivière. Ou plutôt, constata-t-elle, l'un était perché au sec au bord, tandis que celui qui vociférait avec fierté baignait déjà dans l'eau, le torse nu et bombé. Claire, qui s'était préparée à s'énerver, ne put réprimer un élan de joie frémissante en les voyant, éclairés par le peu de lumière du jour passant à travers les épais feuillages. Cela balaya une partie de sa colère – mais pas la totalité. Elle s'empressa de les rejoindre en veillant à emprunter le petit pont de bois qui enjambait le cours d'eau afin de se rendre du côté où était le garçon n'osant pas se mouiller. Elle avait pris l'habitude de le soutenir quand l'autre lui cherchait des noises ou le taquinait.

- Bon c'est pour aujourd'hui ou pour dans cent ans ? soupira le garçon dans l'eau, cette fois réellement agacé.

- J'aime pas trop avoir les pieds mouillés, c'est tout. Après, c'est chiant pour rentrer, protesta le second avec un calme un peu forcé.

- Si t'as pas envie, personne ne te forcera, intervint Claire d'une voix qu'elle voulait douce, révélant sa présence.

Les deux garçons se tournèrent vers elle et lui adressèrent un salut silencieux de la main, visiblement ravis qu'elle ait pu se joindre à eux. C'était moins amusant de se chamailler quand ils n'étaient que tous les deux, devinait-elle. Lorsqu'elle était là, elle servait de juge neutre. Elle les accueillit donc par un bref sourire puis se souvint qu'elle était censée être furieuse.

- À part ça, les gars, on ne devait pas plutôt se retrouver près du Tilleul avant de venir là ? Je vous ai attendu pendant des plombes !

Elle avait fait de son mieux pour paraître sérieuse et contrariée.

- On...on a oublié, déclara Pierre en haussant les épaules d'un air amusé mais sincèrement désolé.

Pierre était celui qui pataugeait. Il était grand mais assez enveloppé, ce qui ne l'empêchait pas de se dévêtir régulièrement pour afficher ses « muscles » lorsque les trois venaient jouer ici. Claire avait toujours pensé qu'Aldo, l'autre garçon, pouvait facilement se servir du surpoids de Pierre pour riposter mais elle ne l'avait jamais entendu faire la moindre remarque sur le physique de son ami. Ces deux-là étaient inséparables mais il fallait bien admettre que leur relation était inégale. Aldo, trouvait Claire, était le plus mature et pourtant le plus fragile des deux : il ne savait juste pas répondre aux attaques.

- D-désolé Claire, fit Aldo tout en tenant sa main levée près de son visage pour se protéger des éclaboussures prodiguées par Pierre.

Tu vas finir à l'eau dans tous les cas, se dit Claire en retirant ses sandales et son short en jean, et je n'ai pas l'impression que ça te déplaise tant que ça.

La pleureuseWhere stories live. Discover now