Chapitre 4, partie 1 (Laura)

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Les deux mains prises par des gobelets de cafés, attrapés à un drive sur la route, j'ouvre la porte de la boutique à l'aide de mon coude et la claque d'un habile mouvement de pied... Enfin, qui aurait pu être habile si Squatteur n'avait pas été à deux doigts de me faire tomber en venant se louvoyer entre mes jambes dès mon arrivée. À grand renfort de ronron, ce chat dont je n'ai jamais retrouvé les propriétaires, m'informe qu'il a faim. Très faim. Assez pour finir par se rouler au sol dans des miaulements qui se veulent déchirant.

— Je sais, je suis à la bourre, m'excusé-je face à Sa Majesté. Je m'occupe de ta gamelle dans deux minutes.
— Quatre heures, Laura ! gronde une voix derrière moi. Quatre heure de retard, un record.
— Désolée ?

Je pivote pour me retrouver face à James et lui affiche mon plus beau sourire en espérant adoucir un peu son humeur. Il ne m'en veut pas réellement, il n'en a jamais été capable derrière sa mine fermée. Même ses sourcils gris et broussailleux, dont quelques poils remontent en forme d'accent circonflexe pour lui donner une expression sévère, n'ont plus d'effets sur moi.

— Tu devais être présente à cinq heures pour la livraison, me rappelle-t-il.
— Je sais, mais... J'ai ramené les cafés ?

Je lui en tends un, en signe de bonne volonté et de paix, mais son nez se fronce et il secoue la tête pour le refuser. Ma mine déçue, adoucie la sienne. James reste un ami de la famille, celui qui était présent à l'arrivée de mes parents à Londres il y a treize ans. Il les a secondés pour ouvrir et tenir cette boutique, avant de rester à mes côtés afin de m'aider à mon tour.

— Laisse-moi deviner : un hérisson à sauver sur la chaussé ? Une personne à emmener à l'autre bout de la ville parce qu'elle ne sait pas lire un plan ?

Je vais pour le couper dans son élan de théories, qui ont toutes été vraies un jours, mais il s'arrête de lui-même, alors que je passe devant lui. Ses narines s'agitent et je sens mes sourcils se froncer au moment où il se fige un court instant.

James est toujours égal à lui-même, que ce soit dans sa façon d'être, jusqu'à dans son apparence. Je ne suis même pas capable de lui donner un âge tellement j'ai l'impression de toujours l'avoir connu vieux, ses cheveux gris plaqué en arrière et son complet en tweed marron qu'il ne quitte jamais. La seule fantaisie qu'il s'accorde est sa cravate bordeaux en partie cachée derrière son veston. Plus jeune, je pensais qu'il entrait dans un placard le soir pour en ressortir à l'identique le matin. Et j'avoue douter encore de la véracité de cette théorie.

Alors oui, dès qu'il a une réaction qui sort de l'ordinaire, je m'attends à ce qu'une pluie de grenouille s'abatte sur la ville. Surtout quand, sans savoir pourquoi, c'est un regard de dégoût qu'il pose sur moi. Ça ne dure qu'une fraction de seconde et je commence déjà à douter de l'avoir vu. Je dois manquer de sommeil, parce que ça n'a aucun sens. Je n'ai jamais eu le droit à une telle lueur dans le gris de ses yeux.

— Hmm...

Hmm, quoi ? Je reste interdite devant son attitude. Je ne parviens pas à saisir le problème, jusqu'à ce que tout s'éclaire dans ma caboche. Courir dans tous les sens, en doudoune et en écharpe, pour tenter de minimiser mon retard doit laisser quelques effluves désagréables. Je m'empresse donc de poser les cafés sur le comptoir de l'accueil et, de manière que je souhaite discrète – soit, pas du tout – je renifle mes dessous de bras. Très glamour, ironiserait ma meilleure amie si elle me voyait !

— Un problème ? tenté-je.
— Je me suis occupé de la livraison, il te reste les commandes à préparer.

D'un mouvement de menton, James me désigne le carnet sur le bureau, attrape le café que j'ai posé et retourne dans l'arrière-boutique sans un mot de plus. Perdue, je tourne la tête vers Squatteur qui arque le dos, prostré dans un coin en surveillant le départ de l'homme. Ces deux-là ne se sont jamais entendus, j'ai été autorisé à garder ce chat qu'à la condition d'être la seule à m'en occuper... Et aussi à l'aide d'yeux suppliants pour ne pas le remettre à la rue.

— Tu y comprends quelque chose, toi ?

Évidemment, Squatteur ne possède pas beaucoup de répondant.

— Tu sais qu'il y a des singes qui ont réussi à apprendre la langue des signes ? Tu pourrais faire un effort !

Et que l'on ne vienne pas me dire qu'un chat ne saisit rien parce que, vexé, Monsieur me tourne le dos, la queue bien haute afin de me snober et rouler des mécaniques. Le tout, bien sûr, en direction de sa gamelle. Comme quoi, il est capable de communiquer lorsque ça l'arrange !

Laura Rowley, Tome 1 : Odeurs (dans l'univers d'Alicia Smith)Where stories live. Discover now