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Le Gardien des Pierres vivait en haut d'une des tours étroites de la bâtisse – une de celles qu'on ne voyait pas de l'extérieur, à cause de tout le flou magique. Hasard dimensionnel ou coquetterie de l'habitant, les quatre fenêtres montraient toujours quatre époques différentes de la journée. Le plus beau moment pour visiter, disait-on, c'était quand le bureau de l'enseignant s'illuminait à la fois du midi, de l'aube, du crépuscule et de la lune haute.

Yves arrivait à une heure moins impressionnante. Le bureau du Gardien des Pierres, mi-jour mi-nuit, était coupé en deux par une longue table qui s'étirait d'un mur à l'autre ; un comptoir, presque, plus qu'une table. Du côté de la pièce où Yves ne pouvait accéder, de hauts meubles à petits tiroirs peuplaient toute la surface disponible. Ici, beaucoup de pierres étaient rangées.

Sa liste tremblant dans sa main moite, ignorant si l'enseignant l'avait remarqué ou non, Yves se racla la gorge.

« Monsieur le Gardien des Pierres ? »

L'homme releva la tête du tome qu'il consultait. Derrière ses lunettes carrées, ses yeux brillaient avec la force de diamants, et son crâne rasé luisait comme un galet bien roulé par les vagues. Les professeurs ressemblaient toujours un peu à ce que leur titre laissait supposer.

« Que puis-je pour toi, mon garçon ?

— Je viens vous demander des ingrédients pour un rituel. Il me faudrait quatre pierres bleues. »

L'enseignant haussa un sourcil. Yves hésita à ajouter un « s'il-vous-plaît », bien qu'on lui ait expliqué au cours des semaines précédentes que demander des ingrédients à ceux qui tenaient les réserves était un droit et, ainsi, n'exigeait pas de formule de politesse.

« Fais voir ta liste. »

Yves la lui tendit. Le Gardien des Pierres fronça les sourcils.

« Tu l'as écrite toi-même ?

— Oui, c'est pour un rituel dont j'ai rêvé. »

À le dire tout haut, Yves se sentait tout à fait stupide. Peut-être aurait-il mieux valu tout laisser tomber. Le Gardien des Pierres secoua la tête.

« Des pierres bleues. Bon sang, mon garçon, que veux-tu que je fasse d'une consigne pareille ? »

Il lança son livre derrière lui ; celui-ci se précipita à battements de pages dans l'escalier. Puis le Gardien des Pierres remonta ses lunettes sur son front et se massa les arcades sourcilières de ses doigts. Yves déglutit.

« Je pourrais vous les montrer ? »

L'enseignant l'ignora. Yves répéta :

« Je les ai vues en rêve. Si je vous les montre, vous pourrez peut-être les reconnaître ? »

Le Gardien des Pierres posa une main sur son front et lui déchira la tête en deux. Yves cria. Les pierres bleues lui apparurent en esprit. Le Gardien des Pierres le repoussa.

« Des agates rubanées. Trois semaines de cours, et il ne sait toujours pas reconnaître les pierres les plus simples. Oh, Grande Mère, qu'allons-nous faire de cette promotion minable ? »

Yves haletait. Autour de lui volaient les fils nacrés qui prolongeaient ses cheveux. Son empathie, même maintenant, se tendit vers l'enseignant à la recherche de la moindre trace d'excuse, de regret, d'affection, quoi que ce soit qui remette l'équilibre de son univers en place. Rien ne se produisit, bien sûr. Le Gardien des Pierres soupira :

« En même temps, quand on recrute dans les fermes... »

Il frappa deux fois dans ses mains. Son livre revint se poser sur son bureau à lourds battements de pages. L'enseignant claqua des doigts. Un tiroir s'ouvrit dans l'inventaire derrière lui. Quatre pierres bleues, identiques à celles du rêve d'Yves, fusèrent dans l'air et vinrent se réceptionner dans le creux de son abdomen, lui causant une vague de nausée. Revenu à sa lecture, le professeur enjoignit l'étudiant :

« Du balai, maintenant, pschitt pschitt ! »

Yves se releva avec peine et, perdu pour perdu, gémit : « Est-ce que vous me détestez ? »

L'enseignant l'ignora.

« J'ai demandé : est-ce que vous me détestez ? »

Le Gardien des Pierres ne leva pas les yeux de la page.

« L'École de Magie accorde la même attention et la même considération à tout le corps estudiantin. N'hésite pas à te rapprocher d'un professeur si tu as besoin d'aide. J'ai moi-même du travail qui ne me permet pas de t'assister actuellement. Merci. Au revoir. »

Yves et la Maîtresse des PoulesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant