— Bonjour, soyez le bienvenu. Je suis Carissa, la directrice de l'institut. Que puis-je pour vous ? Nous n'acceptons plus aucun patient.

Une directrice hispanique ? Comment les parents de Spencer, ultra conservateur, avaient-ils accepté ça ? Voulaient-ils se débarrasser de leur fille à ce point ?

— Bonjour madame. Je suis sincèrement désolé de vous déranger, mais ma sœur a été internée ici il y a onze ans. Maintenant que je suis adulte, je souhaiterais avoir la chance de la revoir. Et, si sa santé le permet, de la récupérer ou de la faire transférer plus près de chez nous.

Spencer eut l'impression que le sourire de Carissa s'était figé l'espace d'une seconde. Il avait dû rêver. Et puis surtout, pourquoi ne lui permettait-elle pas d'entrer dans le bâtiment ? Carissa n'avait même pas daigné sortir entièrement sur le perron pour lui parler et ne faisait dépasser que le haut de son corps par l'entrebâillement de la porte. Étrangement, il faisait trop sombre dans le couloir derrière elle pour qu'il puisse percevoir quoi que ce soit.

— Oh bien sûr jeune homme. Quel est le nom de votre sœur ?

— Talullah Hawkins.

Le sourire de Carissa s'effaça.

— Je suis désolée, jeune homme. Votre sœur est décédée avant son dixième anniversaire. Mes sincères condoléances. Vous devriez rentrer chez vous à présent, là où les vivants vous attendent. Au revoir.

Et avant que Spencer n'ait pu ajouter quoi que ce soit elle disparut et lui ferma la porte au nez. Il cligna des yeux plusieurs fois, quelque peu choqué. Déjà, comment cette femme connaissait-elle sa sœur ? Il avait vu la directrice le jour où ils avaient laissé Lulla et... Et Spencer réalisa qu'il n'avait aucun souvenir de ce jour-là. Il était absolument certain de se remémorer parfaitement le visage de la directrice de l'époque, du déroulé exact de l'entretien... Et pourtant, d'un coup le vide. Son cerveau avait beau creuser encore et encore, aucune image ne correspondait à ce jour atroce. Que lui arrivait-il ? Était-ce le choc soudain d'apprendre le décès de Talullah ? Ou autre chose ? Ces onze dernières années, il n'avait cessé de cauchemarder sur ce jour terrible. Alors pourquoi, désormais, seul le vide lui répondait-il ? Sonné, il se décida pour l'instant à faire demi-tour et à retourner à sa voiture puis en ville. Il y avait réservé un hôtel pour trois nuits en prévision de son enquête.

Les cris d'enfants s'étaient tus, mais ni ce silence soudain ni le brouillard qui s'était levé ne semblaient perturber Spencer. L'esprit ailleurs, il sursauta lorsqu'il vit le parking du bar de l'église. Pour ce qu'il en savait, il aurait pu avoir un accident, il ne s'en serait pas aperçu, tant il n'avait pas souvenir d'avoir conduit jusqu'ici. Comment avait-il pu commettre une telle imprudence et ne pas être concentré sur la route? Il s'en voulait, bien que rien de mal ne soit arrivé. Inquiet, il se gara et entra dans le bar. Bien qu'un verre d'alcool lui faisait très envie, il préférait rester sobre tant que cette affaire n'était pas réglée. Il commanda un café très serré. Ce fut celui qui semblait être le patron qui le lui amena. L'homme, un soixantenaire, s'assit en face de lui.

— Je vais être bref jeune homme. Pourquoi un étranger s'intéresse-t-il à la New Eden Psychiatric Institution ? Les journalistes ne sont pas tellement les bienvenus.

Spencer leva les yeux de sa tasse, stupéfait.

— Non, non, vous vous méprenez sur mon compte ! Je suis désolé, je ne voulais offenser personne ! Je m'appelle Spencer Hawkins et j'ai vécu ici jusqu'à mes dix ans. Nous avions une maison dans le quartier résidentiel. Au 30 rue Midford. Ma petite sœur a été internée à la New Eden Psychiatric Institution. Juste après, nous avons déménagé. C'était il y a onze ans. Je suis revenu ici, car je veux des réponses.

LullabyOn viuen les histories. Descobreix ara