Issue de secours

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C'est deux heures de liberté. Deux heures de liberté sur quinze heures d'éveil par jour, voire vingt, quand le sommeil ne vient pas.

Jon a découvert l'endroit presque par hasard.

Au fond du couloir du bâtiment le plus excentré du lycée, il y a cet escalier que personne n'emprunte. Il ne mène pas à la cour, il ne mène pas à une sortie du bâtiment ouverte - le grillage est cadenassé. Il n'y a pas de toilettes. Il n'y a personne. C'est le paradis.

Tous les jours, tous les jours où il n'a pas de cours pendant la pause déjeuner, Jon vient ici. Il sort un sandwich de son sac, s'assoit sur les marches, et passe deux heures enfoui dans un livre. Dans le calme et le silence. Loin des autres et de ceux qui ne lui ressemblent pas. Ou plutôt ceux auxquels lui ne ressemble pas.

Il sait que bientôt ces années lycées seront finies. Plus qu'un an, passer le bac, fêter ses dix-huit ans, et enfin, enfin entamer la vraie vie. Sa vraie vie.

En attendant, il est plongé dans une saga de fantasy empruntée au CDI et il mange ses sandwichs pain de mie et fromage frais. Ça suffit pour tenir jusqu'à dix-huit heures.

Cela fait deux mois que Jon a pris possession des escaliers au troisième étage du lycée, derrière l'issue de secours, quand son royaume est dérangé. Pas par un surveillant, ni par un ou une camarade de classe qui aurait eu envie de venir le voir - il évite de socialiser et les autres le lui rendent bien.

Non, c'est un autre élève qu'il ne connaît pas. Il est peut-être plus jeune que lui, en première ou en seconde.

Jon est assis, le sac à dos étalé derrière lui sur le palier. Il fait ses devoirs. Il veut finir vite pour pouvoir lire ensuite. L'autre a poussé la porte. Elle se referme doucement alors qu'ils s'observent en silence.

Au bout de deux minutes, l'autre désigne le palier du dessous du menton :

— Je me mets là.

Il descend une quinzaine de marches et se coince dans le coin. Il n'ouvre pas son sac, il ne mange pas, il ne lit pas. Il se contente d'observer le mur sans rien dire. Jon est un peu embêté. Il voulait garder cet endroit pour lui. Mais en même temps, l'autre ne le dérange pas trop. Il aurait pu sortir un portable et mettre la musique à fond. Il aurait pu le dégager d'un coup de pied et prendre possession de son royaume. Il n'a rien fait de tout cela, alors ça va.

Jon finit ses exercices de maths et reprend la lecture de l'Apprenti Assassin.

La situation continue encore deux semaines. L'autre est là, il a fini par lui aussi s'occuper. Il dessine. Sur un vieux cahier de brouillon, avec un stylo bille. Jon ne voit pas grand-chose d'autre. L'autre est trop loin. Et puis il vient de découvrir Le Fou. Alors...

— C'est un livre sur Assassin Creed ?

L'autre a ouvert la bouche et lui pose une question. Jon est énervé. Il a brisé ce pacte silencieux de non-agression. On est là à deux mais seuls.

— Non, répond-il.

La conversation s'arrête là.

Les vacances de la Toussaint arrivent et repartent.

Les deux premiers jours, Jon est seul. Puis l'autre revient. Au lieu de descendre jusqu'à son palier, il s'arrête devant Jon et attend que celui-ci relève la tête. Seconde brèche dans le pacte. Ça ne va pas du tout.

— Oui ?

L'autre lui tend deux mini paquets de Haribo. Comme Jon ne fait pas de mouvement pour les prendre, l'autre soupire :

— C'est des restes d'Halloween. Tu en veux ?

Jon fronce les sourcils mais ne réagit pas plus. L'autre soupire à nouveau. Il pose les deux paquets au sol, et va retrouver sa place habituelle.

Issue de SecoursWhere stories live. Discover now