Chapitre 5 ➪ Gaïa | L'Épreuve

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Dans une pensée fugace, je remerciai ma sœur. C'était elle qui m'avait obligé à développer les muscles de mon corps, un par un.

Avec un détachement remarquable, je compris que j'étais retenu par une harborea malefica. Autrement dit, j'étais un mort en sursis.

« Courage, patience et persévérance, Gaïa.

La plante était dangereuse quel que soit l'environnement où elle se trouvait. Mais au-dessus des pics, elle était fatale. Si je bougeai trop, elle m'injecterait un venin qui me tuerait à coup sûr. Mais si je restai immobile, la plante penserait avoir attrapé un objet inanimé, impossible à manger, et me lâcherait. Droit vers les pieux.

Inquiet, je songeai aux conséquences de l'unique solution que je pouvais concevoir à mon problème. Puis je secouai la tête. Je me soucierai des conséquences plus tard... si « plus tard » il y avait.

Doucement, je décontractai tout les muscles de mon corps et fermai les yeux. Je visualisai les vaisseaux sanguins qui me parcourraient et remontai jusqu'à mon cœur. Puis, avec toute la délicatesse dont j'étais capable, j'ordonnai à la terre de venir en moi.

Ce fut comme si j'avais lâché un tremblement de terre.

Mes membres s'agitaient de manière incontrôlable, pris de spasmes ; la douleur simultanée faillit briser ma raison. À la lisière de ma conscience, je sentis la plante déverser son poison dans ma jambe droite. Puis...

Les rayons du soleil.

J'étais l'if, tendant mes feuilles au soleil. J'avais mal, mon corps de chair et de sang avait mal. Je voulu hurler ; ma voix sortit modifiée. Ce n'était plus ma voix, mais le gémissement de l'écorce et le rugissement des feuillages. Mes branches reconnaissaient la caresse glaciale ; mes racines, fermement ancrées au sol, sentaient les vers aveugles, aux corps lisses, et les taupes qui fouissaient la terre. Tout était parfait.

Je n'étais plus Gaïa. Je ne portai plus sur mon dos l'espoir du Clan. J'étais l'if. Nous étions l'if.

Plein et entier, enfin. Nous devînmes l'autre. Nous nous souvînmes de notre premier gémissement de nourrisson, de la graine que nous étions, tentant de percer la terre pour jaillir au soleil. Nous nous rappelâmes de notre première blessure : une épée au tranchant acéré contre notre écorce, lâchant un filet de sang, et les griffes d'un ours labourant notre peau. Nous passâmes en revue nos souvenirs. Notre famille. Nos enfants, déposés ci et là par le vent. Notre frère, rigide et balafré. Notre sœur, le regard doux, riant dans une pluie de pétales multicolores.

Notre sœur. Comment se nommait-elle ? Nous l'avions oublié. Ce n'était pas grave. C'était une catastrophe. Pas la peine de chercher. Il fallait que nous trouvions. Non. Oui. Non.

Oui ! Comment s'appelait notre sœur ? Comment ? Jasmine ? Non, non, non ! Pas la peine de chercher. Pas la peine. Nos souvenirs devaient rester au fond de notre mémoire. Nous devions être les juges impartiaux du monde. Silencieux.

Hors de question. Notre sœur... notre sœur se nommait... Elle s'appelait Europe.

Et c'était ma sœur.

Nous redevînmes deux. L'if, furieux, tempêtait : « Tu es notre ! Ta conscience est à nous ! Tu dois nous donner tes souvenirs ! » Derrière lui, tous les arbres bruissaient pour acquiescer.

Moi, j'étais Gaïa. L'espoir du Clan. Je ne pouvais pas les abandonner. Pas Europe. Il était de mon devoir des les sauver. La sauver. D'anéantir les autres Clans.  Alors, assemblant les miettes de mon esprit, je demandai en silence : « Prêtez-moi votre force. »

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⏰ Last updated: Sep 30, 2023 ⏰

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