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Jamais les nains d'Erebor ne ployèrent. Tant face au Dragon qu'au chagrin, ils demeurèrent dignes. Droits et fiers, aux portes de leur royaume, jusqu'à ce que le treizième héros de leur Compagnie dissoute se fût enfui par-delà les monts et les vaux, regagnant sa demeure lointaine de sous la Colline, guidé par le Magicien. La légende dira que les larmes qui perlaient aux paupières des nains n'étaient dues qu'aux éclats miroitants du soleil tombant.

L'aventure était achevée et la vie se poursuivait, selon les traditions naines. Ce soir, des chants seraient chantés, des discours seraient prononcés, des honneurs seraient rendus. Un roi mort laisserait sa place à un roi vivant. Les célébrations seraient joyeuses. Mais les nains d'Erebor auraient le cœur en deuil. Comme les autres, ils congratuleraient, poserait genou à terre et jureraient fidélité. Mais en leur âme, jamais ils ne reconnaîtraient de Roi Sous La Montagne plus légitime autre que Thorin Écu-de-Chêne.

Se retournant vers ses compagnons, le sage Balin lut l'émotion sur leurs visages. Il connaissait leur tristesse profonde, pour la partager, mais aussi leur sens du devoir et de l'honneur, en frère d'armes et parfois de sang. Ils se rangeraient sous la bannière de leur nouveau souverain et la vie continuerait.

— La cérémonie va bientôt commencer.

Les nains de la Compagnie hochèrent seulement la tête, la gorge trop serrée pour parvenir à articuler le moindre mot. Seul le vieux Balin à la barbe blanche avait vécu assez de guerres et connu assez de morts pour être capable d'encaisser le choc de ces adieux déchirants qui leur déchiraient les entrailles – Bilbo, Fili, Kili, Thorin...

Les deux frères seraient honorés tels des princes aux côtés de leur oncle. Le grand Écu-de-Chêne reposerait à jamais en cette montagne pour laquelle il avait tout sacrifié. D'un seul regard, perçant et profond, Balin adoucit les peines et les tourments de ses compagnons.

— Il est temps d'aller saluer une dernière fois notre Roi.

Les nains hochèrent la tête. En une lente procession, meurtrie de têtes basses et de pas lourds, ils s'enfoncèrent sous terre. Salles et couloirs s'effacèrent devant eux, peuplés d'âmes fantômes qu'ils ne distinguaient plus, murés dans leur chagrin inconsolable. Le futur seigneur lui-même, Dáin Pied-d'Acier, pivota pour les laisser pénétrer la salle mortuaire sans un mot. Ses traits étaient aussi sombres que les obscures galeries inférieures d'Erebor. Dáin ne se leurrait pas sur la difficulté de la tâche, l'ardeur dont il devrait faire preuve pour ressusciter le royaume d'Erebor, le tact avec lequel il lui faudrait agir pour cohabiter sans heurts avec les humains de Dale et les elfes des Royaumes Sylvestres. Mais pour ce soir, l'heure n'était point aux rêves d'avenir, mais aux échos du passé.

Un par un, les nains de la Compagnie entrèrent dans la salle immense et s'approchèrent du piédestal d'or et d'argent sur lequel reposait leur chef, leur frère, leur ami et leur Roi. Mais à mesure que les mètres entre les guerriers éplorés et celui qu'ils étaient venus vénérer s'amenuisaient, les yeux humides des nains s'écarquillaient toujours davantage. Les cœurs battaient plus vite. Les respirations s'accéléraient. L'allure se faisait nerveuse. Les regards, inquiets.

La lente traversée respectueuse hantée de souvenirs et de regrets s'acheva au pas de course, dans les gémissements et les cris. Trois fois, cinq fois, dix fois, les survivants de la Compagnie tournèrent autour des morts en s'égosillant au scandale. Alerté par leur raffut, Dáin Pied-d'Acier les rejoignit. Pas plus que ses compatriotes, il ne sut expliquer l'inexplicable.

Calmés au bout de longues minutes, interloqués mais le cœur bondissant d'un nouvel espoir, les nains de la Compagnie se regardèrent, alignés, silencieux, puis fixèrent de nouveau leurs compagnons tombés au combat.

De part et d'autre de l'immense piédestal central, Kili et Fili reposaient, brun et blond, pâles et sages, liés par la fraternité du sang maternel jusque face au trépas qui les avait drapés de ses bras cruels.

Et au milieu de la vaste salle voûtée et résonnante, sur le plus grand des édifices mortuaires, un vide saisissant se tenait en place et lieu du corps sans vie de Thorin Écu-de-Chêne.

PromessesWhere stories live. Discover now