Partie 3

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Ce n'était pas le cas. Panacée avait accumulé, du fait de ses années d'absence, beaucoup de retard en termes d'expérience. Même si la progression était plafonnée par les développeurs, le niveau maximum avait été accru plusieurs fois, de sorte que nous passâmes des heures à tuer des morts-vivants à la pelle pour que Panacée rattrape le rythme. La sensation d'être la plus puissante des deux, d'inverser les rôles avec la prêtresse, me mit mal à l'aise : cette situation avait un côté surnaturel que je détestais.

Panacée eut d'ailleurs besoin de temps pour retrouver ses repères, au point que je me fis la réflexion qu'il ne faudrait jamais que je quitte le jeu. Si une personne aussi talentueuse qu'elle pouvait tomber à un niveau si bas en s'absentant quelques années, qu'en serait-il de moi qui avais dû pratiquer deux fois plus fort que tous les autres pour atteindre un niveau correct ? Mais ce qui me surprit le plus, ce fut la nature de ses erreurs. Alors que Panacée avait toujours su avoir une vision d'ensemble, qu'elle était capable de tenir compte en même temps de tous les membres de son équipe, du temps de latence de leurs capacités et de la position des ennemis, elle se fit surprendre plusieurs fois bêtement par des créatures arrivées derrière elle. Panacée m'expliqua qu'elle avait décidé de se mettre en vue à la première personne afin de profiter d'une meilleure immersion, mais qu'en conséquence, elle avait un bien piètre angle de vue. Elle régla le problème par des jeux de miroir qu'elle invoquait autour d'elle pour d'agrandir son champ de vision.

Comment ai-je pu être aussi bête de ne pas comprendre avant ? Les indices se sont accumulés sous mon nez, immanquables, mais je les ai ratés. À ma décharge, comment aurais-je pu imaginer la réalité de ce qui se tramait ? Comment l'idée aurait-elle pu s'installer, sans que je me traite de folle ?

En quelques semaines, grâce à la férocité de mes invocations, la puissance de mes sorts, et ses soins, Panacée avait atteint le niveau maximum à nouveau et, plus impressionnante que jamais, elle bousculait encore une fois certains des classements pour s'y faire une jolie place. Mais ces histoires de compétition n'avaient plus l'air de l'intéresser autant. Elle déclina l'invitation de son ancienne équipe à participer au tout nouveau raid pour me traîner plutôt dans un petit village à quelque distance de la capitale, où résidait un alchimiste réputé. Le PNJ avait, selon Panacée, des quêtes à nous offrir, des aventures un peu plus excitantes que les redites incessantes de Carcanesse. Je ne croyais guère à des nouveautés dans cette zone, les développeurs n'ayant rien annoncé en ce sens, et la carte connue de Dragon Slayers avait tant été explorée que plus rien ne s'y cachait. Mes recherches en ligne ne donnèrent rien : aucune mise à jour récente ne mentionnait une telle ville.

Je me trompais. Une petite passe dissimulée dans les montagnes nous permit d'atteindre Clerzieu peu avant le crépuscule. Nous découvrîmes un village, entouré sur trois côtés par d'abruptes falaises. Les maisons en rondins parfaitement alignées suggéraient une construction récente, ce qui me fut confirmé lorsque j'appris qu'on avait trouvé, il y a quelques années seulement, des pierres aux propriétés magiques dans le mont.

Les mineurs avaient bâti Clerzieu en suivant les plans précis que l'alchimiste avait dessinés. Les maisonnettes en sapin, recroquevillées les unes contre les autres sous le soleil rasant les sommets, témoignaient des frimas de l'hiver à cette altitude, mais nous eûmes la chance de visiter le lieu au printemps, lorsque les fleurs débordaient des jardinières pour conférer aux habitations des airs féériques. Je suivais Panacée dans l'artère principale en m'extasiant sur le charme de ces bâtiments. Notre objectif ne faisait aucun doute : au bout de la rue, un édifice atypique nous accueillit par son éclat. Les personnages sur les vitraux – un immense dragon crachant du feu sur un chevalier et sa monture, une licorne chevauchée par une belle dame, un cerf à la parure ornée de fleurs – semblaient avoir pris vie sous la dorure du couchant.

PanacéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant