une mauvaise soirée

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tout compte fait, c'est vraiment plutôt mauvais comme soirée.

ce fut la réflexion que se fit ama en avalant le fond de sa bière déjà presque plate. ses amis et lui étaient assis au bar depuis un bon moment. joachim discutait d'une part avec lison, la serveuse avec qui il s'était lié d'amitié depuis que son père avait ouvert ce bar, et avec téo de l'autre, lorsque lison était occupée à servir quelqu'un. ama tentait de suivre leur conversation décousue mais n'y parvenait pas, entre le bruit, la musique et puis ses pensées qu'il n'arrivait pas à faire taire. antoine quant à lui discutait avec deux filles qui s'étaient installés au bar quelques minutes après eux.

antoine, c'était le charmeur de la bande. partout où ils allaient, il se retrouvait entouré de filles en l'espace de quelques minutes. il avait le genre de charisme devant lequel les gens se retournent dans la rue. pourtant, il n'était pas spécialement dragueur: il discutait surtout par politesse, et c'était extrêmement rare qu'une fille lui plaise assez pour qu'il conclue avec elle. la plupart du temps, il se retrouvait dans l'obligation de recaler celles qui s'étaient faites trop d'espoir.

c'est ce qui exaspérait le plus téo, chez antoine. ce côté enjôleur naturel qu'il ne maîtrisait pas et dont il ne se servait pas. téo était l'éternel célibataire, frustré et désespéré. il en voulait à la fois à antoine pour son charme et à joachim pour son argent, chose que téo ne possédait qu'en très maigre quantité.

téo vivait seul avec son père depuis ses cinq ans, lorsque sa mère était décédée d'un cancer du sein. son père travaillait beaucoup, et ça ne suffisait pas vraiment à élever les trois enfants du ménage. ses deux petits frères ont grandis chez les grand-parents de téo, les parents de sa mère, et lui était resté à la maison. il avait une très bonne relation avec son père, mais inconsciemment, il avait gardé de la rancoeur pour ses frères élevés dans l'opulence tandis qu'il avait dû faire des efforts toute sa vie. dès ses quatorze ans il avait commencé à chercher des petits boulots, et à peine avait-il fini l'école qu'il s'était fait engager en cdi chez un mécanicien. il était débrouillard, téo, mais pas suffisamment pour s'élever au rang social de joachim, ou pour dégoter la même prestance qu'antoine. ça rongeait téo parfois, lorsqu'il y pensait trop. il l'avait avoué à ama.

ama n'avait pas su quoi dire. il ne pouvait s'imaginer n'être ni dans la situation de joachim, ni dans celle de téo. il était dans la moyenne, avec une famille moyenne et des revenus moyens. ce n'était pas le grand luxe chez lui, mais il ne manquait de rien. ce n'était pas l'amour fou non plus, mais les conflits étaient presque inexistants. il se disait souvent, en regardant ses amis, qu'il était chanceux d'être dans sa position. il vivait en équilibre. ce n'était pas terriblement excitant, poétique ou dramatique, c'était moyen et ça lui suffisait amplement.

il se contentait dans l'ordinaire et c'est en partie ce qui faisait qu'il était si mal à l'aise dans cet endroit. la salle était noire de monde, d'une chaleur étouffante et d'un vacarme assourdissant. les jeunes autour de lui dansaient dans leurs plus beaux habits, arrosant leur soirée de champagne pour la plupart. il se trouvait en trop, et il pouvait s'imaginer que pour téo, c'était encore pire.

ama voulut demander un nouveau verre, mais à chaque fois que lison s'approchait d'eux, joachim reprit leurs discussion. il finit par annoncer à ses amis qu'il allait sortir fumer - même si le bar avait un fumoir dédié - après avoir passé deux bonnes heures assis sur un siège en cuir plus cher que sa voiture à avaler des bières aux effluves de caviar.

une fois dehors, l'air frais lui donna un petit peu le tournis. il avait l'impression de respirer à nouveau. ama se roula un joint et avança vers la digue. il faisait nuit noire, et avec les lumières du bar derrière lui il ne parvenait pas à distinguer la mer qui se trouvait pourtant à seulement quelques mètres de lui. ama ressentit ça comme une métaphore de sa vie: à savoir des choses à portée de main qui pourtant semblaient inaccessibles.
il voulait arrêter de penser, alors il tira sur son joint.

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⏰ Last updated: Jun 12, 2023 ⏰

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ancolie Where stories live. Discover now