2- Les oursins du portefeuille

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L'hôtel de Boris, celui des chouchous de la prod et des stars du programme, est en centre-ville, à Nice. Les autres candidats sont logés dans des formules 1 à la périphérie. J'imagine qu'on ne va pas tarder à les lever pour les faire poireauter dans un bus en attendant que les vrais candidats soient prêts. Parce que tout le monde le sait – sauf les téléspectateurs, sans doute, et les candidats parqués à trois dans leur chambre à 50€ la nuit : la production a déjà décidé qui seront les sélectionnés. Ils sont obligés, il faut bien les placer pour prévoir les angles de tournage, ne pas rater une réaction, prévoir les profils télévisés, etc. D'autant que StarChef est en direct, contrairement à la plupart des émissions du même tonneau. Tous ces pauvres candidats qui pensent sérieusement qu'ils ont une chance d'être retenus alors qu'ils sont là pour servir d'éléments de décor mobiles. Et gratuits. J'espère juste pour eux qu'ils n'ont pas investi toutes leurs économies dans le voyage.

Au cours Saleya se trouve non seulement le marché aux fleurs adoré des touristes mais aussi un vrai marché de produits frais et, je le découvre avec un certain étonnement, hors de prix. Je ne fais mes courses qu'au marché, pas par un quelconque snobisme écolo-bobo-gastronomique, mais parce que ça fait partie des rares occupations possibles entre cinq heures et sept heures du matin. Ici, je vais d'étal en étal, essayant vainement de trouver quelques produits qui soient jolis pour la télévision – on a sa fierté – tout en me permettant de payer mon prochain loyer. A force d'arpenter le marché, je me rends compte que je ne suis pas la seule à errer. Il y a bien sûr quelques ménagères matinales, des commis de restaurant affairés, mais tout ce petit monde-là fait ses courses de façon décidée.

En revanche, le grand type brun que j'ai croisé devant les fleurs de courgette, puis la poêle à socca encore froide, et le stand d'olives n'achète rien non plus. Il se contente de regarder, froidement. Curieuse, je m'arrête un peu plus longuement devant un petit stand de poisson. Si on peut appeler ça un stand ; une vieille dame aux yeux vifs profondément enfoncés dans un visage tout ridé, une blouse de ménage rose synthétique, et trois casiers retournés pour faire une table brinquebalante. Je feins de m'absorber dans la contemplation des quelques crustacés aux prix dignes d'une devanture de joailler tout en guettant l'inconnu du coin de l'œil. Je pense l'avoir perdu de vue quand une voix grave m'interpelle.

- Vous avez bien choisi.

-       Je vous demande pardon ?

-       C'est un excellent choix. C'est de la pêche artisanale, ça se voit. Tout juste sortis de l'eau. Vous allez prendre quoi ?

-        On se connaît ? 

Il me regarde avec un soupçon de condescendance qui me hérisse aussitôt.

-   Vous êtes candidate, dans Starchef.

Comment le sait-il ? Il y a à peine quelques heures la production ne connaissait même pas mon nom, et je doute que quiconque sauf Julie soit au courant. Je baisse les yeux. D'accord. J'ai emprunté une glacière marqué d'un énorme logo de l'émission, je suis assez reconnaissable.

- Vous aussi ?

Il sourit, avec ce petit air entendu des gens qui se pensent supérieurement intelligents mais qui ont la bonne grâce de ne pas vous le faire (trop) sentir. Il doit aussi savoir qu'il a le genre de sourire qui peut valoir des millions en contrats publicitaires.

- D'une certaine façon. Vous allez prendre quoi ? Les langoustes ?

-       Trop vu, trop facile, non ? dis-je nonchalamment en remarquant l'étiquette de prix. Non, je vais prendre... les oursins.

C'est le moins cher, mais je vais quand même devoir parler à ma banquière.

- Des oursins ? Original. J'attends de voir ce que vous allez en faire.

Il hausse les sourcils d'un air entendu, comme si je devais instantanément frétiller d'aise à l'idée d'avoir attiré son attention puis s'éloigne, sûr de ma réaction.

Abruti.

Du tout cuitHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin