Chapitre 1 - Nostalgie

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Ce jour-là se déroule exactement comme je m'y attendais, à une exception près. Ils ont patienté qu'une semaine complète s'écoule après mon anniversaire pour m'annoncer la nouvelle. « Écoute Essie, ne nous en veux pas, mais depuis que tu vis sous notre toit des choses étranges se produisent. » m'a-t-elle dit. Je roule des yeux. Toujours la même rengaine, les mêmes paroles, les mêmes excuses. Je suis surprise de voir avec quelle décontraction j'assimile l'information. Peut-être qu'au fond de moi je le savais déjà, ou alors je sais que cette fois ce sera différent.

Quoi qu'il en soit, me voilà dans ce qui aura été ma chambre pour une durée de neuf longs, interminables et ennuyeux mois, à faire ma valise à nouveau. Je m'active à ranger mes affaires, mitigée entre l'impatience de retrouver mon indépendance – enfin, après tant d'années sous le joug de personnes plus ou moins bienveillantes – et la lassitude de constater que l'histoire se répète encore. Mes gestes deviennent machinaux. Je prends un t-shirt, le secoue, le plie et le range. J'en prends un autre et je réitère l'opération. De toute façon, je n'ai pas mille et une fringues, en quelques minutes tout sera emballé.

J'en profite pour scruter les lieux, pour réaliser à quel point cette chambre ne me manquera pas. Le papier peint, décrépi par le temps, pendouille par endroits entre deux blocs de moisissure. L'icône de la Vierge Marie accrochée au mur tente comme toujours de se faire la malle. Celle que je redressais chaque jour, dans l'espoir qu'elle finisse par tenir d'elle-même, vaine tentative acharnée qui m'occupait l'esprit lorsque je m'ennuyais. La porte en noyer, seul élément qui m'aurait permis d'avoir un tantinet d'intimité, n'a jamais fermé et son grincement strident dissuadait mes efforts dans la plupart des cas. Bye-bye le lit à ressorts qui me servait des bruits terribles dès que me prenait l'envie de me retourner. Sans oublier l'eau gelée de la douche le matin. Cette satanée douche qui m'aura raffermi la peau, unique prétexte positif que je lui ai trouvé pour réussir à m'y accommoder.

Voilà, en quelques minutes l'ensemble de mes vêtements se retrouve dans ma maison portative, comme j'aime à l'appeler. Je clipse les élastiques de ma valise entre eux afin qu'ils maintiennent le contenu, puis tends les bras pour rabattre la partie supérieure. Je ne compte même plus le nombre de fois où j'ai dû la refermer ainsi, désespérée de rejoindre un foyer qui ne me rejette pas comme la peste, où je pourrais me sentir chez moi.

Résignée, je tire l'objet regroupant tout ce que je possède du lit pour le poser au sol, puis attrape ma veste. Il est l'heure pour moi de partir. Je prends le temps de faire un dernier tour du propriétaire afin de vérifier que je n'ai rien oublié. J'en profite au passage pour saluer les quelques araignées et insectes, fidèles colocataires silencieux.

Je lève la poignée de ma valise, quitte la chambre et longe le petit couloir qui mène jusqu'aux escaliers vétustes. Au même titre que la porte ou le parquet, les marches grincent sous mes pas, faible cri de douleur face à leur agonie, signe évident de leur ancienneté.

Souvent, les familles par lesquelles je suis passée avaient tout juste les moyens de subvenir à leurs besoins, alors rafistoler leur baraque n'était pas leur priorité. Tous nous nourrir constituait déjà un défi majeur, ce qui explique mon apparence physique squelettique, similaire à ce que mes « camarades » appellent un cure-dents.

Luc, Marie et Rita, ma famille d'accueil, m'attendent en bas, droits comme des piquets. Je sollicite tous mes muscles, du moins ce qui s'y apparente, pour faire rouler ma valise jusqu'à eux. Je les regarde à tour de rôle les lèvres pincées, ne sachant quoi dire.

Marie, ma douzième « mère adoptive », décide de rompre le silence en premier :

— Je suis navrée de la situation, Essie. Nous ne voulons pas qu'il nous arrive du mal, et...

Darkeria, Le pacte (T1) - [/PUBLIÉ\]Where stories live. Discover now