11. L'une des nôtres

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C'est ainsi que nous sommes retournées au silence le plus complet. Après avoir mangé nous sommes restées quelques heures de plus à regarder des films et commenter chacune des actions d'une jeune fille complètement stupide qui retourne sans arrêts dans les bras d'un petit ami abusif. Avoir des conversations aussi profondes sur l'image de la femme à la télé ne m'étais jamais arrivé auparavant, et malgré mes questions restées sans réponses, je ne pouvais que me réjouir de m'être faite une telle amie. Elle me rappelait beaucoup ma mère dans ses manières de faire. Nous nous sommes éclipsées quelques instants le temps d'une pause cigarette, et j'eus terriblement honte d'avoir repris. Mais aujourd'hui plus que jamais, fumer était un facteur d'intégration, et je ne pouvais me permettre de passer à côté, hors de question!

Nous avons été surprises par un bleu crépusculaire que nous n'avions pas vu arriver, et très vite ce fut le retour à l'appartement.
Dans l'ascenseur, mon ancienne chef d'équipe m'esquissa un sourire.
"Quoi?"
"Je sais pas, je suis juste... contente."
"Tu me remercieras plus tard."
"Je t'autorise à me poser une seule et unique question. Et tu dois me promettre que cette question sera la première mais également la dernière." concéda-t-elle. "Je peux avoir ta parole?"
"Bien sûr." répondis-je avec un soupçon de malice.
"Très bien. Allons-y."

De retour dans l'appart je réfléchis si fort, que je pense que ma mère aurait été capable de m'entendre penser. Plusieurs centaines de questions se bousculèrent dans ma tête mais aucune d'entre elle ne fut capable de satisfaire ma curiosité. Je voulais savoir, mais TOUT savoir, et je réalisais peu à peu, que sa proposition était de la torture. Pure et simple.

"Si j'étais comme vous..." commençai-je, hésitante. La lèvre de la métisse frémit à l'entente du "vous", mais elle me laissa continuer. "Si j'étais comme vous... Tu penses que je serai qui?"
Elle éclata de rire nerveusement avant de se demander si elle était en mesure de répondre à ma question. Repensant à son sermon, elle fut bien obligée de répondre à ma requête farfelue.
"Je pense que tu ferais une très bonne P-" elle fut interrompue par une sonnerie de téléphone portable qui n'était pas l'habituelle. Médusée, je l'observai décrocher, écouter puis se décomposer. Mon cœur battit à tout rompre, et en bonne pessimiste que j'étais, les pires scénarios me vinrent à l'esprit. Sa mère faisant un accident de voiture avec ses sœurs, sa mère sauvagement violée et assassinée par une bande de suprématistes machos... Sans le savoir, je me tenais en face d'elle la bouche grande ouverte, attendant qu'elle m'annonce la nouvelle.
"On bouge." dit-elle simplement. Comme si des filaments invisibles guidaient mes pas, je me dirigeai d'un pas boiteux jusqu'à la porte, où Yaëlle m'avait précédé quelques secondes plus tôt. La jeune fille m'attendait près de l'ascenseur le regard grave. Ses yeux avaient perdu leur magie, son sourire avait disparu, toute trace de désinvolture avait déserté son visage. Elle respirait la rage, l'autorité et surtout... la vengeance. Qu'avait-il pu bien se passer?

"T'es où?!" aboya-t-elle, en serrant son smartphone si fort qu'elle aurait pu le briser. "Ne BOUGE pas. Ne BOUGE plus." ordonna-t-elle avant de raccrocher son téléphone. J'eus le malheur de croiser son regard, et ses yeux furent si tranchants que j'eus peur pour ma vie l'espace de quelques secondes.

"Ce fils de pute...!" cria-t-elle avant de frapper la cage de l'ascenseur. J'en frémis, et l'écho de son coup se répercuta dans tout le couloir. "C'était la dernière..." reprit-elle en mordant son poing, frustrée à l'extrême.

J'utilisai mon empathie et rassemblai toutes les informations accumulées jusqu'à présent pour mieux comprendre la situation. Bientôt j'en vins à la conclusion suivante. Nour avait probablement été victime d'un comportement abusif, et à en juger les paroles de Yaëlle ce n'était pas la première fois. L'ascenseur s'ouvrit enfin, et je m'y engouffrai sans réfléchir. La métisse n'avait pas lâché son téléphone, et elle semblait donner des ordres dans un verlan si rapide qu'il me fut impossible de le déchiffrer. Le terrible souvenir de la main glacée de Richard me revint à l'esprit et sans m'en rendre compte je tirai ma jupe vers le bas. Yaëlle intercepta mon geste et me foudroya si fort du regard, que j'ai levé les mains par réflexe.

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