Une balle | One-Shot

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J'étais petit et gros comme ma mère était grande et sèche.

Dans mon bahut, ils avaient l'habitude de m'appeler "Ventre sur pattes" - ce qui n'était pas faux, en effet, j'avais faim durant l'intégralité de ma journée.

Parfois, j'avais l'impression que l'instinct des crèvent-la-faim s'était incrusté dans mon subconscient.

En quelque sorte, j'étais comme les privés de nourriture : elle était là et mes pensées « Si je ne la mange pas maintenant, Ils vont me la voler, je n'en aurai jamais d'autre ; Dieu que j'ai faim, j'ai toujours faim. »
Les autres qui criaient : « Hé, Ventre-sur-pattes, regarde ça, regarde ça ! » et ils lançaient des morceaux de jambons sur mes épaules, ma nuque. Mon esprit qui hurlait « J'ai faim, Dieu que j'ai faim, pourquoi j'ai toujours faim ».

Dans ces moments là, l'envie irrésistible d'avoir un allié se ressentait comme une guêpe dont les piqûres ne s'arrêtaient jamais.

Tommy McDowell était arrivé à un de ces instants dépressifs qui clôturait inévitablement une série de moqueries, où j'étais assis sur le rebord d'un parterre de verdure au bahut.
Il m'avait invité à jouer au base-ball le dimanche d'Halloween, pas loin de l'usine abandonnée et des quartiers qui l'encerclaient.

Ce n'était pas vraiment une invitation : plutôt une occasion, une porte qu'on ouvrait sous mon nez en se demandant si j'allais la franchir. La réponse était oui.

Le peu de points communs que je possédais avec Tommy étaient suspects, aussi suspects que son sourire en coin au moment de son incitation ; il dévoilait une canine jaune et usée, mais le sentiment que ce geste projetait faisait froid dans le dos.
Un mélange de joie malsaine et de méchanceté gratuite.

Parfois, je me disais que la solitude des adolescents était mortelle. L'empressement de constituer un groupe l'était d'autant plus.

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En face de ma porte, Tommy m'attendait. Il était affalé contre la grille du jardin d'enfants, affublé d'une casquette où une balle se dessinait, au milieu d'une flamme rougeoyante.

J'ai hurlé à ma mère que je partais avec un ami. Elle a hurlé "C'est qui, Matt, c'est qui ?" et je suis parti en courant, pris d'une brusque envie de liberté. La liberté d'aller mourir plus loin.

J'avais faim. Tommy me proposait d'aller au terrain avec sa voiture. Une vieille Toyota toute déglinguée où une rayure partait du capot au coffre, fine et pourtant assez visible pour qu'on l'aperçoive de loin. Tommy a marmonné « Salaud » en passant un doigt dessus.

J'étais content de ne pas être l'artiste de cette œuvre qui tranchait la voiture en deux partie distinctes. Tommy tenait à sa bagnole pourrie.

Ça sentait la menthe dans l'habitacle.

J'avais encore faim.

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Il y avait une autre voiture, garée à l'ombre d'un immeuble abandonné. La température avait baissé depuis ma sortie ; mon téléphone sonnait sans arrêt, affichant un [ Mum ] sur l'écran sombre. Je l'ai éteint. Tommy avait toujours ce sourire en coin, les mains enroulées autour du volant.

Je commençais à me poser des questions sur les raisons de ma présence avec lui ; jusqu'à ce que Liam Crow ne vienne ouvrir ma portière et ne me fasse un check comme si on était potes et qu'il ne m'avait pas fait un croche-pied dans les couloirs il y a deux jours à peine - je m'étais étalé sur le sol, les livres grands ouverts devant mon nez.

Le check avait échoué : mauvais poing, geste maladroit. Sourires cachés. Chuchotements en coulisses.

"On va bien l'avoir, lui-là."

Une balle | Halloween Vault 2021Where stories live. Discover now