III

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Akaashi n'aimait pas que le monde dans lequel il évoluait soit construit sur un concept aussi bancal que celui des âmes-soeurs. Partout il en voyait les traces, dans les spots publicitaires montrant des images ridicules de félicité romantique, dans les livres, dans les films. Et chaque fois que le mot résonnait à ses oreilles, chaque fois qu'il le lisait, il se crispait un peu plus.

Il avait rencontré son âme-soeur quand il avait treize ans. Encore jeune, naïf, plein d'espoirs et d'illusions, il s'était jeté corps et âme dans une relation pour laquelle il n'avait pas été préparé. Sans la maturité nécessaire, Akaashi n'avait pas compris ce qu'il faisait, pensant qu'il en allait juste ainsi. C'était ce que toutes les histoires semblaient vanter après tout, la félicité trouvée dans un partenariat créé par des forces inconnues. L'Univers collant ensemble deux êtres faits l'un pour l'autre.

Rien ne l'avait protégé des désaccords, des cris et des dégradations. Il n'avait pas su comment réagir : n'était-on pas supposé toujours s'entendre avec son âme-soeur ? Il avait dû faire quelque chose de mal.

Mais peu importait à quel point il avait essayé d'arranger les choses, cette relation n'avait juste pas été saine. Le garçon qu'il pensait aimer à cause de la couleur de ses yeux, qui était la première teinte qu'il ait jamais distinguée, l'avait profondément marqué. Il en était sorti blessé par des mots qui aujourd'hui encore rendaient difficile beaucoup d'interactions avec autrui, et surtout complètement fermé à l'idée de destinée.

Il n'avait été qu'un enfant, tête emplie de rêves trop beaux pour être réalisables et d'idées dangereuses véhiculées par une romantisation d'un concept trop aléatoire pour être vraiment fiable. Voulait-on lui faire croire qu'il avait mérité les injures et les nuits sans fin à pleurer ? Que cet autre enfant de qui il aurait autrement tout fait pour s'éloigner aurait dû être celui avec qui il vivrait le reste de sa vie, quand ils s'étaient simplement détruits l'un l'autre ?

Akaashi avait désormais cinq bonnes années d'expérience en plus et, il le pensait, une quantité non négligeable de bon sens. Il avait pardonné à son âme-soeur son traitement injuste, mais ne souhaitait jamais renouer contact avec lui. Ce seul et unique aperçu des terribles histoires jamais racontées avaient suffi à le dégoûter à jamais de l'idée. Peu importait combien de fois on lui demandait s'il percevait et avec qui il était lié, sa réponse serait la même : oui et personne.

Ce n'était pas une existence facile, d'ignorer les règles implicites qui régissaient la société. Il devait vivre avec l'incompréhension, la pitié, et pire encore le mépris de ceux qui le jugeaient totalement absurde d'avoir eu la chance de trouver sa moitié et d'oser la refuser. C'était insensé, du presque jamais vu.

Par conséquent il n'avait toujours eu que peu de véritables amis, d'un naturel silencieux et discret pour couronner le tout, Akaashi s'efforçait de ne pas faire plus de vagues que cela. Jusqu'au jour où il décida d'entrer dans son club de volleyball de lycée, espérant gagner des points en plus et se défouler un peu après de longues journées de cours.

Rien n'aurait pu le préparer à la tempête qu'était Bokuto. Le garçon avait un ego immense mais extrêmement fragile, un enthousiasme d'enfant et un sourire à éclipser même les spots du gymnase. Il sautait dans tous les sens et se montrait curieux des choses les plus surprenantes, ne jugeait jamais mais faisait toujours de son mieux pour intégrer y compris ceux qui ne le voulaient pas, clamant que sur le terrain on se devait de former un clan.

Bokuto Kotaro renversa les piliers fragiles du monde qu'Akaashi avait cru apercevoir après sa rupture, et il ne lui fallut même pas deux semaines.

Il parlait beaucoup, de tout mais surtout de rien, pourtant Akaashi en appris énormément en prêtant l'oreille à ses divagations là où personne n'avait encore la patience d'écouter.

Lui aussi n'accordait pas grande importance aux âmes-soeurs, mais avait pourtant trouvé la sienne. Un inconnu dans une équipe de volleyball que leur lycée affrontait souvent, apparemment dans une relation parfaitement heureuse avec son ami d'enfance. Il n'était pas question dans leur histoire à eux d'horrible expérience, simplement d'une conversation honnête puis du développement ultérieur d'une amitié faite de mauvais pranks et d'entraînements à des heures peu raisonnables de la nuit.

Le ton joyeux sur lequel ces évènements furent racontés, figea le brun sur place. Akaashi en avait oublié l'amitié, trop obnubilé par la romance, qui était partout placardée. L'existence de toute une variété de relations qu'il avait négligées revint le frapper de plein fouet.

Sans même essayer, Bokuto lui fit repenser toutes ses positions sur la question des âmes-soeurs. Au bout d'un an à ses côtés, Akaashi se sentit même suffisamment sûr de lui pour décider que s'il ne se sentait toujours pas à l'aise avec la manière dont ces relations étaient idéalisées et vendues comme la recette du bonheur, certaines personnes réussissaient à y trouver leur équilibre, et ce n'était simplement pas son cas.

Il pris donc son temps pour savourer le lien tout particulier qui l'unissait à son attaquant, un lien qu'il avait décidé de créer et prenait soin de nourrir chaque jour par une oreille attentive et des dizaines de petits gestes qui lui étaient toujours rendus au centuple.

Plusieurs années passèrent, le temps qu'Akaashi renforce et mette en pratique les idées qu'il avait juste commencé à former. Il ne négligea jamais de maintenir le contact avec Bokuto cependant, et ils finirent par se retrouver. Pas qu'ils se soient jamais vraiment perdus, bien que plusieurs facteurs comme leurs études respectives aient rendu plus difficile de se voir en personne. Entendre un rire par téléphone n'était jamais la même chose que de le sentir vous submerger, comme une vague partant de l'autre personne et s'échouant juste entre vos côtes.

Akaashi sut à ce moment là, laissant un sourire affectueux lui échapper, qu'il était temps pour lui de tourner la page. Son coeur tambourinait quand il poussa la porte du restaurant qu'ils avaient choisi pour cette soirée ci, la tenant pour son ancien coéquipier, mais c'était une sensation agréable. Qui n'avait rien à voir avec la nervosité constante qu'il avait ressenti auparavant.

Quand on leur demanda, après avoir remarqué qu'ils voyaient les couleurs, s'ils étaient liés, Akaashi put fièrement répondre non. Puis il planta un baiser sur les lèvres de Bokuto, et le jeune homme répondit avec son enthousiasme caractéristique, manquant de leur faire perdre l'équilibre.

Au fond cela n'avait même pas d'importance. Bokuto pouvait le faire tomber, Akaashi avait confiance en une chose : il ne le lâcherait jamais.

Cette relation ne lui avait pas été donnée, il l'avait construite, et il savait que les fondements en étaient solides.

Cette relation ne lui avait pas été donnée, il l'avait construite, et il savait que les fondements en étaient solides

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