— C'était qui ?

— Qui ? je réponds.

— Celui qui voulait te parler jeudi.

— Oh...

J'hésite à lui dire et réalise que je voulais en parler à Alexandre et Jean, alors pourquoi pas à Erell puisque ça a l'air de mieux l'intéresser qu'eux.

— Mon grand-père. Enfin, c'est ce qu'il dit.

— Comment ça, ton grand-père ?! s'écrie Erell et je dois lui rappeler que nous sommes encore dans la cathédrale.

Tout le monde est sorti et je décide donc de poursuivre la conversation en allant également retrouver l'extérieur. Erell me suit, docilement.

— Je n'ai pas de famille, je lui annonce après avoir pris une grande inspiration. Je vis avec mes deux tuteurs et la seule personne qui me reste de ma famille est ma mère, qui est en hôpital psychiatrique à cause de... Bref, je l'ai pas vue depuis que j'ai dix ans. Mon père est mort d'un cancer quand j'étais tout petit. Et je n'ai jamais connu mes grands-parents. Jusqu'à jeudi.

Je m'arrête un instant, pour reprendre ma respiration. Je n'ai pas l'habitude de parler autant, encore moins quand il s'agit de parler de moi. En même temps, je réfléchis à ce que j'ai encore envie de lui révéler.

— Il t'a dit quoi, alors ? insiste Erell.

— Qu'il me cherchait depuis quelques semaines et qu'il venait tout juste d'apprendre que j'existais. Au début, j'ai pas trop réagi. Et puis après, il m'a dit qu'il voulait parler à ma mère, pour en savoir plus sur son fils, mon père. Il l'a abandonné pour je ne sais plus quelle raison. Tout ce qui l'intéressait, c'était de mieux connaître mon père, alors qu'il ne sait même pas comment ma mère ou moi vivons.

— Mais... Tu le crois ?

— Comment ça ?

— Tu trouves pas ça bizarre qu'un inconnu vienne te voir comme ça et te raconte toute sa vie, alors qu'il a même pas de preuves ? Si ça se trouve, c'est juste un malade qui veut s'amuser avec toi.

— Non. Je sais que c'est la vérité, je tranche. Je le sens.

Nous nous taisons tous les deux, le temps de réfléchir et de descendre les marches pour rejoindre les pavés. En une heure, le temps s'est assombri et il pleut. Je n'ai qu'un tee-shirt mais j'apprécie de sentir l'eau tomber sur moi. Comme si ça me purifiait. Je ne peux m'empêcher de me sentir encore un peu mieux. A côté de moi, Erell offre son visage au ciel et tire la langue pour attraper les gouttes d'eau. Elle rit et je souris en secouant la tête. C'est vraiment une enfant.

— J'adore la pluie, m'explique-t-elle. Je trouve ça magnifique.

— « J'aime marcher sous la pluie, parce que personne ne peut voir mes larmes ».

— Charlie Chaplin.

Je hoche la tête et elle me fixe, semblant chercher quelque chose. Elle est interrompue par son beau-père qui l'appelle, au fond de la place. Aussitôt, cette image me rappelle notre première rencontre. Quand je gardais tout pour moi et que je ne me confiais pas bêtement à une fille. Malgré tout, je n'arrive pas à me trouver si bête que ça. Je déteste parler de moi mais je ne peux qu'avouer que ça m'a fait du bien. Il y a de cela un mois, je n'aurais pas pu l'imaginer. Il faut croire que même après dix-sept ans d'existence, les habitudes changent.

— Solal, m'appelle Erell pour que je me reconcentre sur elle. Moi non plus je n'ai pas de famille.

Elle dit ça précipitamment et je secoue avec force la tête. Ce n'est pas vrai.

Nos sentiments voilésWhere stories live. Discover now