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DEUX ANS. Deux ans étaient passés. Peut-être même plus.
Deux ans qu'ils étaient dans cette galère, tentant à tout prix de survivre. S'efforçant de comprendre où ils étaient, et pourquoi.
Deux ans à parcourir leur prison, à la cartographier de long en large, sans en voir le bout.
Deux ans, enfermés, sans savoir pourquoi, sans souvenirs, ne faisant que supposer, encore et encore.
Willa fixait le ciel depuis un moment déjà. C'était l'heure de sa pause, et comme toujours, elle la passait à regarder dans le vide, essayant tant que possible de ne penser à rien.
Penser à leur situation, à tout ça, lui fichait le cafard. Pas qu'elle fût très joyeuse de nature, mais elle avait parfois le chic pour faire déprimer tous les blocards pendant une bonne semaine quand elle était dans cet état.
Alors elle se posait dans un coin, regardait en l'air, et s'efforçait de faire le vide.
Heureusement, les pauses n'étaient pas trop longues, et elle pouvait rapidement retourner s'occuper l'esprit.
Son quotidien n'était devenu que ça : essayer de ne penser à rien, et se distraire comme elle pouvait.
Au début, c'était simple. Avec Alby et les autres, ils avaient mis en place un système, des règles, répartit les rôles. Ils avaient élaboré des plans d'évasion, tous aussi farfelus les uns que les autres. Grimper sur le lierre qui s'accrochait aux murs. Creuser. Tenter de descendre par la Boîte, l'ascenseur qui leur amenait vivres et nouveau blocard tous les mois.
Mais, au bout d'autant de tentatives échouées, autant de temps à espérer, Willa avait décidé d'arrêter. C'était la première à avoir accepté l'idée qu'il n'y avait pas de sortie. La seule, aussi.
Tous les autres continuaient à espérer, à oeuvrer pour sortir de cet enfer. Certains avaient commencé à rejoindre Willa sur ses opinions pendant le Conseil, mais il n'y avait qu'elle qui décrétait sans cesse qu'ils ne sortiraient pas, et qu'au lieu de concentrer leurs efforts sur l'évasion, ils devaient prioriser l'idée d'une vie au Bloc sur le long terme.
Elle ne comprenait pas pourquoi les autres s'acharnaient à vouloir trouver une solution qui n'existait pas.
Pourquoi ils se rattachaient à l'idée d'une vie meilleure dehors.
Elle aurait aimé y croire aussi, et ne pas voir cette lueur déprimée qui ornait les yeux de sa soeur chaque fois qu'elle prenait la parole au Conseil.
Sa soeur, qui avec le temps, s'était éloignée d'elle, lui préférant la compagnie des medjacks, les médecins de leur petite communauté.
Elle la comprenait. Et elle ne lui en tenait pas rigueur. Pas trop.
Un bruit de branches s'écrasant lourdement au sol la fit sortir de sa rêverie. Elle quitta le soleil du regard, pour découvrir Gally, pestant devant un gros tas de bois et de cordes.
Visiblement, sa nouvelle construction était plus laborieuse que prévu.
Elle sourit, avant de se lever de la souche qui était désormais devenue son siège attitré. Le grand blond se tourna vers elle tandis qu'elle s'approchait de lui, et se gratta le crâne, contrarié.
- Besoin d'aide ? demanda la rousse en se plantant près de lui.
- Je crois que j'ai vu trop grand, cette fois.
Son amie acquiesça silencieusement. Ça faisait des jours qu'il leur parlait de construire une sorte de tour de guet, dépassant les murs du labyrinthe qui les entouraient.
Mais les arbres, étant le principal support pour leurs constructions en hauteur, ne poussaient pas près du mur, et très vite, les fondations de la nouvelle tour de guet s'étaient avérées fragiles.
Au début, le bâtisseur avait toute une bande à ses côtés pour l'aider, mais suite aux nombreuses tentatives infructueuses auxquelles ils avaient fait face, les garçons avaient tous déserté le chantier, pour se concentrer sur des tâches plus réalisables.
Tous, sauf Gally. Jusqu'à maintenant, le garçon n'avait pas désespéré, et avait tenté en vain de construire des fondations solides.
Chose qui, étonnamment, se révéla être au-delà des compétences de l'adolescent, pourtant devenu chef des bricoleurs du bloc.
Willa posa sa main sur son épaule, comme pour le réconforter.
- C'était une bonne idée, pourtant, le consola-t-elle.
- C'est pas l'avis d'Alby.
- Alby est persuadé qu'on va sortir d'ici, répondit simplement Willa.
Elle aimait beaucoup Alby, mais le trouvait bien trop naïf quant à leur avenir.
- C'est vrai. Mais ce truc aurait peut-être pu nous aider à sortir. Je comprends vraiment pas pourquoi il était contre.
- Faut pas chercher, c'est Alby, soupira la jeune fille. Allez, je vais t'aider à ramasser ce foutoir et après on va aller réparer le toit du dortoir. Des gars se sont plaints de fuites, quand il a plu l'autre soir.
Il hocha la tête et prit une grande inspiration.
Gally, c'était le genre de mec qui jouait les gros bras devant tout le monde. Une grande gueule, équipée des muscles qui allaient avec, et sous cette carapace, un garçon perdu, qui essayait tant bien que mal de trouver un peu d'équilibre dans cette vie.
Lui aussi était dans l'optique de penser sur le long terme, et comme Willa, détestait chaque changement qui se présentait à eux, fût-il minime.
Au fil des années, les deux adolescents s'étaient beaucoup rapprochés, ne manquant pas de faire jaser parmi certains blocards plus avides de commérages que d'autres.
Rumeurs qui s'étaient vite arrêtées, grâce à l'intervention d'Alby.
Les concernés, quant à eux, n'y avaient pas beaucoup prêté attention ; ils n'avaient pas ce genre de relation, et se doutaient que nier la chose reviendrait à attiser les regards sur eux.
Chose qu'ils n'aimaient pas.
Willa sourit en pensant à quel point ils se ressemblaient. Du coin de l'œil, elle observa Gally, qui marchait d'un pas rapide à côté d'elle, un gros paquet de bouts de bois amassé dans ses bras.
Il paraissait fort, sûr de lui. Mais au fond, il était comme elle. Sous les apparences, ils étaient tous les deux restés ces adolescents effrayés qui avaient foulé le sol du bloc pour la première fois.
Elle doutait qu'un jour, cette partie d'eux disparaisse.
- Tu penses à quoi ? lui demanda le garçon, qui avait remarqué que la rousse ne le quittait pas du regard.
- Je me demandais si t'avais encore ta mixture dégueu, sourit-elle. C'est aujourd'hui qu'un bleu va arriver, faudrait pas qu'il loupe tes talents de distillateur.
Un sourire vient barrer le visage de son ami. Depuis leur arrivée, il avait toujours dit qu'il manquait un peu de quoi s'amuser, alors il s'était mis en tête de fabriquer son alcool. Un truc fort, au goût amer et qui faisait tomber le plus fort des blocards à la renverse.
Malgré le goût infect, Willa raffolait de son mélange.
Il voulut répondre, mais fut coupé par une alarme sourde, puis par un fracas métallique venant du centre du Bloc.
