À notre gauche, les Pokémon s'agitent.
J'avoue ne pas être spécialement fan non plus des gros calibres exhibés sous notre nez.
— Elle ne te plaît toujours pas la maison ?
— Noah, c'est pas le moment.
Je suis pourtant forcée d'admettre qu'il n'a pas tort.
D'un glissement de doigt, je retourne sur l'annonce et la relis. Demeure de charme à proximité du Mississippi, disponible dans l'heure. Aucune photo sur le profil du loueur, aucun commentaire, comme si elle venait d'être mise en ligne.
— C'est trop tard maintenant, non ?
C'est en entendant ma propre voix que je me rends compte que je tremble. Des petits groupes se sont formés autour des militaires et je remarque tout juste qu'on a éteint les écrans.
— Pas forcément. Ils vont sûrement gérer les évacuations, on a plus de chances de trouver un hébergement avec eux.
— Ça va être la cohue, les gens vont paniquer.
— Je ne crois pas qu'on ait besoin d'eux pour ça, Av'. Vu comme la situation est tendue, il suffit d'un rien pour faire vriller tout le monde. Et ça ne fait qu'une nuit.
Il a sans doute raison. Plusieurs engueulades éclatent ici et là entre les passagers, certains manquent même d'en venir aux mains pour une histoire de valise frôlée.
— Quel bordel.
Je m'aperçois tout à coup que Noah a quitté mon champ de vision et je me retourne, paniquée.
— Noah ?
Un Pokémon que je ne connais pas me désigne mon frère un peu plus loin. Je le remercie d'un signe de tête et me dirige vers lui. Mon sac pèse lourd quand je le remets en place, ma valise bute dans tous les bagages que les gens laissent traîner.
— Noah !
Penser qu'il va m'entendre avec tout ce bruit est bien optimiste.
La foule me fait l'effet d'un océan au début de la tempête, les vagues deviennent dangereuses et le rivage paraît super loin. Je me faufile tant que je peux, prends des coups de coude au passage et manque soudain de tomber sur quelqu'un.
— Pardon, sorry, désolée.
La fille que j'ai bousculée me regarde à peine. Ses cheveux violets se repèrent si bien que je regrette que mon frère n'ait pas eu l'idée de teindre les siens de la même couleur, ça m'aurait facilité la vie.
— Putain, Noah !
Il me fait signe de me taire et m'enlace. Il écoute avec attention les paroles d'un officier qui coulerait direct au fond du Mississippi, avec toutes ces médailles. Contre lui, au moins, mes tremblements s'atténuent un peu.
— Désolé, j'entendais rien. Et ne sois pas vulgaire.
— Tu m'emmerdes. Tu sais que je déteste quand tu fais ça.
Il acquiesce, s'excuse de nouveau, puis m'entraîne tout près des portes.
— Il y a trop de monde ici, c'est pour ça que l'armée est venue. Ils vont évacuer un maximum de gens, les familles avec enfants en priorité.
— Ça va durer des plombes.
— Potentiellement des jours, oui. Les embouteillages saturent les points d'accès et si on ne se dépêche pas, on ne pourra plus entrer ou sortir de la ville. Ils conseillent à ceux qui ont une solution de transport de partir maintenant.
Chacun de ses mots me transperce la poitrine et il le sait. J'apprécie sa franchise, même si on en connaît tous les deux les conséquences. Mes mains deviennent moites, je les frotte tour à tour sur mon pantalon pour évacuer le stress.
— Flippe pas.
— Facile à dire, bordel, Noah !
— On peut tenter de partir de notre côté, mais c'est quitte ou double. C'est toi qui décides.
Il a l'air si sérieux que je renonce à l'insulter.
Je n'arrivais déjà pas à trancher avant alors maintenant ? Je me serais bien passée de cette responsabilité. C'est mauvais signe qu'ils soient là, déjà, alors...
Prendre le risque ?
Ne pas prendre le risque ?
La panique revient quand tout à coup, mon téléphone vibre. Merci les réflexes, la notification m'a tellement surprise que sans eux, l'écran se serait éclaté au sol.
— Quoi ?
Je lui tends l'appareil, incapable de parler. Il remonte ses lunettes et lève sur moi un regard tout aussi étonné.
— Tu as réservé la maison ?
— Je... j'en sais rien. Je ne crois pas.
— T'as dû appuyer sur un truc sans faire attention. C'est un signe !
La joie soudaine de ce mec est trop bizarre.
Il attrape ma main et m'entraîne vers l'extérieur avant de s'arrêter pour remonter la fermeture de mon ciré.
— Allez Ava, t'as qu'à prendre ça comme une aventure. Souris !
Je n'ai même pas envie de lui expliquer à quel point sa phrase est débile. Je passe une sale nuit, j'ai mal au crâne, je vais loger dans une ruine, et en plus j'ai mes règles.
Quatre excellentes raisons de ne pas me forcer.
— C'est quand même ultra-bizarre tout ça, non ?
— Mais non. Arrête de faire ta trouillarde.
Le vent nous fouette le visage et je n'ai pas le temps de le prévenir qu'il fonce dans un autre groupe costumé.
La personne qu'il a heurtée a les joues blanches, elle porte un nez rouge et une perruque visiblement pas de première jeunesse.
Il sursaute et se recule sans prendre la peine de s'excuser.
— T'as peur des clowns et c'est moi la trouillarde, hein ?
— Ça va, la ferme. Qu'est-ce qu'ils foutent déguisés dans un aéroport, déjà ?
— Sois pas vulgaire.
Il me répond par le même haussement d'épaules et me fait signe de le suivre, sa bravoure soudain évanouie.

Ceux qui restentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant