Celles qui dansent dans les profondeurs

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Je me souviens de ce jour. Celui où ma vie a changé, bouleversée par un choc effroyable. Un violent changement de paradigme qui altéra ma perception du monde qui nous entoure. Cette journée maudite qui célébra ma découverte de ce qui se cache dans certains recoins oubliés. Je n'ose imaginer les autres aberrations qui se terrent ailleurs. Ce que j'ai aperçu n'en est qu'une infime partie. Comme une immense toile aux innombrables ramifications.
Car nous pensons connaitre. Non, nous savons.
C'est évident, l'homme à conquit la planète.
C'est ainsi. Plus d'inconnu. Plus de mystères.
Abreuvés d'images que l'on nous jette à la figure sans discontinuer, le doute n'est pas permis. La foi, inébranlable.
Sans sortir de notre doux cocon, nous savons.
Toujours à un clic de la vérité.

Je ne suis qu'une jeune libraire sans histoire, et il est évident que le récit qui suit pourrait paraitre idiot ou absurde, prêter à sourire. Un vulgaire conte pour enfant que l'on balaie d'un revers de pensé. Une obscure légende tirée par les cheveux. Qu'importe.
L'ignorance est peut être préférable.
Car depuis, c'est la folie qui me guette.

Un jour, lors de simples vacances, je décidai de me promener aux alentours d'un rivage non loin de chez moi, comme j'aimais le faire si souvent.
Une petite plage déserte remplie de roches glissantes, parfois taillées en pointes par l'eau salée. Des mâchoires de pierres promptes à étreindre les chevilles trop insouciantes.
Un bord de mer mal orienté, où le soleil ne caressait que rarement les algues rejetées par l'océan. Bien des raisons qui faisaient que les touristes, s'ils venaient à passer par là, ne s'arrêtaient guère. Un endroit plutôt sombre, mais qui me plaisait pour sa tranquillité, sa quiétude naturelle. Une petite bulle où me retrouver lorsque je souhaitais réfléchir paisiblement. Oublier mes pensées les plus noires.
Mon havre de paix.
Comme souvent sur la côte, il bruinait ce jour-là. Le contact de la pluie fine, vague de gouttelettes rythmée par le vent, me procurait toujours ce sentiment nostalgique.
Pour certains, c'est l'odeur d'un feu de bois en hiver ; pour d'autres, le son particulier du feuillage au vent.
Les mystères de la mélancolie.

Quelque chose vint toutefois briser ma rêverie.
J'aperçus non loin... Un filet de pêche ? Cela arrivait parfois. Ils s'échouaient de temps à autre. Reliquat d'orage ou maladresse de pêcheur.
Celui–ci paraissait particulièrement gros et semblait... Remuer.
Probablement une illusion d'optique due à la pluie. Amusée, mon âme d'enfant prit le dessus et je m'en rapprochai, curieuse.
Au fur et à mesure de mon avancée, je vis qu'effectivement, quelque chose se débattait. J'en compris bientôt la cause.
Mon cœur se stoppa, tout comme ma respiration. Mes yeux s'écarquillèrent de surprise devant ce spectacle aussi fantastique que grotesque.
Une des parties de la chose à l'intérieur du filet ressemblait très clairement à la queue d'un gros poisson mais l'autre... Semblait humanoïde.
A cet instant, devant moi, s'agitait avec la force du désespoir une créature mi-humaine et mi-aquatique, autrement dit... L'image populaire d'une sirène, je n'aurais su trouver meilleur comparatif.
Les histoires, même les plus fantasques, ont souvent une part de véracité.
Sur les sirènes, elles ne mentaient pas.
Sombres cheveux longs, poitrine nue, écailles iridescentes aux couleurs impossibles... Et d'une rare beauté. Elle remarqua ma présence, cessa de se débattre puis me fixa de ses yeux verts. Insondables puits d'émeraude. Dans son regard ne transparaissait aucune peur ou angoisse. Non. Mais de la colère et une étrange lueur. Celle d'un prédateur dévisageant sa proie.
Dans ce regard, j'entrevis également tant de choses: les profondeurs abyssales des fonds marins, des ruines perdues dans les flots, des navires fantomatiques à jamais engloutis...

Avant même que je ne m'en rende compte, poussée par un incontrôlable instinct, je venais de libérer la créature de ses liens. À peine avais-je terminé que la sirène se traina avec une vitesse surprenante vers l'océan, glissant sur le sable humide tel un serpent.
Avant de sombrer dans les profondeurs, elle se retourna pour me lancer un dernier regard, puis disparut.

Vint alors le choc du recul, de l'après.
Que venait-il de se passer exactement ?
Une sirène ? Vraiment ?
Non, une mauvaise blague, sans nul doute possible.
Pourtant....
Les pensées se bousculaient, martelaient mon crâne. Mon esprit ? Un chaos.
Toutefois, l'incompréhension fit place à la dérision et la peur se mua bientôt en déception.
J'en vins à me demander si je n'avais pas simplement rêver tout cela.
Un mécanisme d'auto-défense utilisé par mon esprit afin d'éluder la clairvoyance. Ne pas douter. Ne pas remettre en question.
Je restai néanmoins longtemps là, à trembler, d'adrénaline et de froid, tout en contemplant l'horizon. Fixant les nuages gris sans les voir tout en observant l'océan, si calme, mais moins réconfortant qu'à l'accoutumé. J'aperçus l'ombre d'un immense cargo au loin pendant qu'une mouette se riait de moi.
La bruine commençait à sérieusement me tremper. Mon corps me fit alors comprendre qu'il était peut-être temps d'y aller. Une pulsion instinctive me poussant en quête de chaleur.
En me levant, je baissai le regard vers le filet de pêche laissé là.
Je suis certaine qu'à ce moment précis, peu de lumière consentait à éclairer la triste plage, pourtant, je vis quelque chose briller entre les mailles du filet. Il s'agissait d'une pierre noire dont je ne connaissais pas la constitution. Un morceau brut d'une dizaine de centimètres reflétant une faible lueur apaisante. Je décidai de la garder, souvenir d'un moment singulier, et la fourrai dans la poche de mon manteau. Je tournai ensuite les talons afin de rentrer prendre un bon bain, et une tasse de café bien fort. J'en avais vraiment besoin.
À coup sûr, tout ça me remettrait d'aplomb. Je l'espérais sans y croire.

Sans grande surprise, je ne dormis que très peu cette nuit-là.
Les rares fois où le sommeil daignait me gagner, je rêvais de citadelles cyclopéennes englouties bardées d'étranges statues rongées par l'eau et le temps. D'abominables créatures endormies gisaient parmi les ruines, n'attendant qu'un cataclysme pour s'éveiller à nouveau. Une vision cauchemardesque que même des fous auraient difficilement pu concevoir.
Mais surtout, je rêvais sans cesse de sombres rivages balayés par le vent.
Bon nombre de fois je me réveillai en sueur, tordue dans des positions absurdes.
Trop fatiguée pour continuer cette lutte perdue d'avance, je décidai finalement de rester debout. L'aube pointait déjà à l'horizon. C'est seulement à ce moment-là que la pierre me revint à l'esprit. L'étrange roche noire séchait depuis la veille sur la table du salon. Une énigme ténébreuse.
Sa couleur faisait naturellement penser à une obsidienne. C'était peut être le cas ?
Tout en maudissant mon inculture, je remarquai qu'elle était encore mouillée. Encore ? Depuis la veille ?
Non, en réalité, elle suintait continuellement d'eau salée.
Parfois, une petite lumière étrange semblait danser à l'intérieur même de cet obscur minerai. Les pierres précieuses ne faisaient pas ça.
Cette chose pouvait-elle réellement provenir de la mer ? Une sorte de cadeau des profondeurs ?
Alors que je l'examinai sous tous les angles, une voix de femme m'interpella. Faible au départ.
Lointaine, suave et mélodieuse. La voix n'énonçait rien de cohérent, juste un chant d'une beauté incommensurable.
Le son semblait émaner de la pierre elle-même et enflait au fur et à mesure. Il envahissait à présent tout mon être d'une agréable chaleur. Comme de tendres souvenirs trop longtemps oubliés qui refont soudain surface.
À cet instant, je pouvais saisir la moindre variation vocale, le plus infime changement de timbre. Captivée par cette voix lascive, je compris que ce chant servait aussi d'indication. Une route à suivre.
Une invitation.
Car lorsque j'orientais la pierre vers une direction précise, le chant devenait plus clair encore, plus éclatant. Cette boussole musicale m'indiquait l'ouest. Cependant, à ma connaissance, rien de spécial ne se situait dans cette direction.
Je me devais toutefois de répondre à l'appel.
C'est ainsi que je m'équipai pour partir en voiture, prenant quelques vêtements chauds et un peu nourriture. Juste au cas où.
Je suivis la route qui longeait la côte, mais je fus bientôt stoppée par une voie impraticable. Inexistante plutôt.
Là où la route s'arrêtait, le chant, lui, continuait.
Au bout de quelques kilomètres de chemins étriqués traversant un petit bois, je me retrouvai sur une colline herbeuse surplombant la mer. Rien d'autre.
Le chant devenait entêtant, tellement qu'il m'en donnait le tournis. Comme un bon vin dont on aurait subtilement abusé.
Le vent poussait délicatement quelques nuages paresseux.
J'aimais bien cet endroit. Vide, calme. Le soleil, bien qu'un peu engourdi, dispensait sa pâle lueur, parant l'océan d'or étincelant.
Les choses étaient à leur place.
Doucement, je m'approchais du bord de la falaise.
Une trentaine de mètre plus bas, quelques vagues s'écrasaient mollement contre la paroi de roche érodée. Cette voix. Si douce. Un pas.



Moi aussi je voulais contempler ces vestiges.
Moi aussi je voulais explorer les épaves.
Moi aussi je voulais danser dans les profondeurs.


Dans ma main, la pierre pulsa.








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⏰ Last updated: Jun 02, 2021 ⏰

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Dans les sombres recoinsWhere stories live. Discover now