Sa mère, Erica, travaillait pour son père, ou pour l'entreprise de son père. Céleste doutait fortement de l'importance de celle-ci dans une entreprise pareille, mais les soupçons d'emploi fictif ne l'importait que très peu. Elle avait d'autres chats à fouetter, au sens propre et figuré, cette fois-ci.

Elle se dirigea vers la cuisine pour attraper vivement dans un des placards un paquet de biscottes, les jeter dans le grille-pain et les recouvrir de confiture.

Une fois l'assiette en porcelaine nettoyée à l'arrache, elle emprunta une seconde fois l'entrée, puis le couloir la gorge serrée, jusqu'à ce que ses pieds atterrissent devant la chambre d'Ulysse dans laquelle elle s'était introduite la veille. Ce qu'elle préférait chez son frère était son aptitude à ne jamais évoquer la veille. Elle détestait les rares fois où le vase débordait tellement qu'elle en était poussée à la confession, et que celui qui l'écoutait finisse par effleurer le souvenir de ses moments de faiblesse les jours suivants.

Alors qu'elle allait s'introduire dans la chambre du blond, Céleste se ravisa pour ouvrir la porte d'en face qui la sollicitait comme les sirènes de l'Odyssée.

L'envie futile de plaire.

Elle s'agrippa de ses deux mains à la vasque de sa salle de bain, fit couler l'eau dans le robinet, plongea sa tête la première en mélangeant ses larmes à celles du torrent qui déferlaient du chantepleure. Puis une fois le chagrin succombé, elle échappa son visage de l'eau comme si de rien était, comme si elle n'avait pas pleuré, comme si la Terre tournait rond et comme si son coeur avait cessé de saigner de l'intérieur.

Prétendre, toujours prétendre. Elle qui pourtant s'était promis l'année passée d'arrêter la prétention ne l'avait en réalité jamais cessée. Auquel cas elle aurait eu le courage de regarder son reflet témoigner de ses souffrances, elle aurait laissé l'eau à sa place et elle aurait laissé ses fausses amies là où elles étaient destinées à rester, c'est à dire dans le parc que sa fenêtre laissait percevoir.

Est-ce que notre éternelle solitaire en effet craignait la solitude ?

Pour le moment, elle laissait la réponse évidente à l'eau, puisqu'elle n'était même plus capable de les sécher toute seule.

Céleste attrapa le rouge à lèvres posé sur le rebord du miroir, comme si il n'attendait que ça, d'être violemment crayonné, pensant que cet accessoire l'aiderait à plaire à celui qui occupait ses pensées.

Elle ignorait tout, du tout au tout, mais plus encore que c'était sa noirceur qui avait attiré Ken. Peut-être qu'il s'y reconnaissait lui aussi un peu, dans cette lugubre.

Main dans la main, Céleste et Ken étaient assit l'un à côté de l'autre sur les strapontins. Elle avait le coeur qui battait, l'impression de faire quelque chose de palpitant tant elle ne s'était jamais autant éloignée de chez elle dans sa propre ville. Ça pouvait paraitre stupide, mais quand Ken lui avait annoncé qu'ils se rendaient dans le 18ème arrondissement, elle avait comme senti un arc planté en direction du coeur à savoir qu'elle s'apprêtait à commettre l'impensable, et pourtant la passionnelle déchéance instaurée par son père. Lui tenir tête, c'était ce qu'elle préférait faire en cachette car bien que la brune de l'extérieure paraissait tenace, elle n'était qu'une pierre tombale en présence de son ascendant.

- T'es belle avec du rouge à lèvres. Ça te vas bien, se résigna Ken en interrompant le silence qui perdurait depuis maintenant vingt bonnes minutes.

Avait-il bien fait de lui dire ces mots qui sonnaient bien mieux dans sa tête que de sa bouche ? Il avait eu sa réponse avec le sourire en coin de Céleste, qui semblait avoir rejoint la Lune depuis qu'elle avait posé ses pieds dans la bouche de métro souterraine.

- Moi j'te préfère avec une casquette, elle passa sa main dans sa touffe de cheveux, comme quoi toi et moi, on est mieux avec un accessoire.

Deux humains accessoires qui s'accessoirisaient pour témoigner de leur singularité, c'est con, pensa Céleste.

A travers la vitre, les deux apercevaient l'inscription de la station « Marx Dormoy », les poussant à se relever pour sortir du wagon.

- Pourquoi on va aussi loin ?

- Parce que le père de Nassim a un restau' ici, donc on peut manger gratos.

Elle acquiesça en remarquant une fois de plus que leurs mains étaient toujours liées. Leurs mains témoignaient de l'amour mais leur absence totale de discussion sur l'amour se penchait plutôt sur de l'amitié.

Elle voulait lui plaire,

Elle voulait effleurer sa main,

Elle voulait qu'il la complimente,

Elle voulait prendre le métro avec lui,

Elle voulait passer sa main dans ses cheveux,

Elle voulait marcher dans Paris avec lui.

Alors qu'attendait-elle pour, enfin, parler d'amour sans gestes avec lui ?

La distance entre la station de métro et le fameux restaurant n'était pas très longue. Une fois la porte passée, ils remarquaient le groupe attablé qui les attendait au fond du restaurant. Ken n'avait pas lâché la main de Céleste, et elle l'avait bien remarqué: il n'avait pas honte d'elle.

- Oh, y'a Céleste et Ken !

Céleste s'approcha de chacun d'eux pour heurter leurs joues, puis Ken à son tour, avant de lâcher -enfin- mutuellement leurs mains pour venir s'asseoir chacun de leur côté sur la banquette rouge.

- Tu vas bien ?, Lui chuchota Victoire à l'oreille en souriant. Cette fille aussi était un véritable soleil, elle ne cessait de sourire et rigoler constamment. Céleste qui doutait rarement d'elle même se retrouvait intimidée par la seule fille à la table. Caroline, la meilleure amie de Ken, n'était pas venue.

- Ça va, ça va. Et toi ?

- Comme d'hab hein ! Elle rapprocha le menu des yeux de Céleste pour qu'elle puisse également en profiter. Tu veux prendre quoi ?

Après avoir parcouru le menu dépliant des yeux, elle trancha :

- Un burger au bacon. Et toi ?

- Juste une salade César. Ça fera l'affaire, j'ai pas très faim.

- Ma meilleure amie aussi elle prend tout le temps une salade César, rajouta-elle en souriant.

Rien que cette remarque lui rappelait ne même pas lui avoir dit au revoir la veille, car Jeanne paraissait trop occupée à discuter, cigarette à la bouche, à un grand métisse face à elle.

- C'est la blonde, c'est ça ? Jeanne ?

- Ouais c'est elle, tu la connais ?

- Nan, pas personnellement. Mais elle est trop belle cette fille, c'est dingue.

C'était toujours ce que les autres disaient de Jeanne.

C'était toujours ce que les autres disaient de leur groupe.

Mais les auraient-t-ils toujours trouvé si belles une fois qu'ils auraient vu le dos de Jeanne, les pensées de Céleste, Béatrice sans son maquillage, la détresse de Sonia et la tartuferie de Salomé ?

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nova (nekfeu)Where stories live. Discover now