Chapitre 2

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Un mur gris long de bien deux-cents mètres sur une bonne dizaine de haut. Des barbelés à son sommet, électrifiés sur toute la longueur, si j'en juge par les grésillements qui bourdonnent au-dessus de ma tête. Une haute porte à simple battant flanquée en plein milieu, en métal noir, sinistre, repoussante.

Je savais bien que l'endroit n'aurait rien d'agréable, mais je ne m'étais pas imaginé que l'ambiance tout entière serait aussi plombée. Il émane du lieu un sentiment de malaise assez terrible, malgré le soleil qui brille en cette fin d'après-midi. Lourde et pesante, l'atmosphère me donne, paradoxalement, des frissons dans le dos et glace mon sang.

Lorsque le portillon s'ouvre sur un gardien en uniforme, j'enjambe le rebord et me faufile pour me retrouver dans un sas clos, tandis que le bruit sourd de la porte métallique retentit lourdement. Il me passe devant, et armé d'un énorme trousseau de clés, déverrouille une seconde porte qui me permet de passer dans un couloir. Plus de fenêtres, aucune lumière du jour : seuls des néons phosphorescents, alignés au plafond, éclairent le corridor aux allures de couloir de la mort. Bon j'imagine que dans une prison, c'est assez normal. Pour autant, c'en est carrément flippant. Je suis l'homme, qui ne m'a pas adressé la parole depuis nos salutations de l'entrée, avant de nous arrêter devant une seconde porte, où il réitère les mêmes gestes. Puis trois fois encore, avant de pénétrer dans un dernier couloir dans lequel nous nous arrêtons en plein milieu, devant un battant en bois. La petite plaque métallique « Directeur » n'oppose aucun doute : c'est bien là que je suis attendue.

L'agent frappe à la porte, ouvre au signal, puis repart aussi vite, me laissant en plan dans l'embrasure. Je le regarde partir, un peu hébétée, avant de reporter mon regard vers l'intérieur de la pièce. Là, la tête penchée sur le côté droit, un homme dans la cinquantaine m'observe d'un air inquisiteur, sur la réserve. Ses cheveux gris sont impeccablement coiffés, dans la lignée de son costume sombre dont je n'aperçois que la veste, la chemise blanche et la cravate sombre.

Merde, c'est maintenant qu'il me faut faire bonne impression ! Je me reprends aussitôt, pénètre dans le bureau en refermant la porte, et m'avance d'un pas engagé.

— Je suis mademoiselle Coleman, commencé-je. Je viens pour...

— La place d'enseignante ? me coupe-t-il. En effet, je vous attendais. Asseyez-vous, je vous en prie.

Son ton n'est pas aussi sec que ne le laissait sous-entendre son air méfiant. Le regard qu'il porte sur moi n'a rien de méchant, je crois, et il s'en détourne assez vite d'ailleurs pour fouiller dans les innombrables papiers qui recouvrent son bureau. Ses sourcils se froncent au fur et à mesure, jusqu'à ce que son visage s'éclaire quand il extirpe de son capharnaüm un dossier bleu qu'il ouvre aussitôt.

— Nous y voilà, murmure-t-il dans sa barbe. Faith Coleman, vingt-cinq ans. Enseignante depuis trois ans en école primaire. C'est... peu.

Sa phrase claque à mes oreilles comme un fouet. Mince, le voilà qui attaque d'emblée sur mon expérience très modeste.

— J'ai peu d'expérience, certes, mais j'ai d'excellentes recommandations, je le contre doucement. Je vous ai fait parvenir une lettre de...

— Oui oui, je l'ai eue, me coupe-t-il. C'est...

Il ne termine pas sa phrase, et relève la tête vers moi. Ses yeux se plissent, et il pousse un soupir qui me fait arquer un sourcil.

— Ecoutez, mademoiselle Coleman, je vais être très franc. Si vous êtes ici dans ce bureau, ce n'est pas grâce à cette lettre de recommandation que, je vous avoue, je n'ai pas lue. Ni même pour vos qualités d'enseignante qui, je ne doute pas, sont sans doute formidables. Si je vous ai demandé de venir, c'est parce que personne d'autre ne s'est présenté pour ce poste. Sinon, croyez-moi, ce n'est pas sur vous que mon choix se serait porté.

Ma bouche s'ouvre en grand, avant que je ne la referme dans un réflexe. Oh ben mince, ça, je ne m'y attendais pas. Je m'apprête à protester, quand il m'arrête d'un geste de la main.

— Je n'ai rien contre vous, Mademoiselle. C'est juste que... Vous êtes si...

— Si ?

Il ne me répond pas, et grimace pour toute réponse.

— C'est une prison, et vous êtes si jeune... et si jolie. J'avais espéré, je vous l'avoue, que vous ne l'étiez pas...

Hein ? Il me reproche d'être avenante, là ?

— Ecoutez, reprend-il d'une voix plus ferme. Je vais vous exposer le problème. Les hommes qui sont enfermés ici ne sont pas des enfants de chœur. Ceux que vous aurez en classe seront triés, bien évidemment, et surveillés pendant les cours. Mais ils restent des parias de la société , et autant vous dire qu'ils ne sont pas ici pour de menus larcins : drogue, trafics, meurtres. Viols, aussi, même si ceux-là, je refuserai qu'ils participent. Ce que j'essaie de vous dire, mademoiselle, c'est que ce ne sont pas des enfants de chœur. Et ils n'ont pas vu de femme depuis des mois, voire des années. Je vous avoue que j'espérais trouver un homme ou quelqu'un de plus âgé.

Je déglutis : mon rêve s'effondre, apparemment.

— Vous me recalez ? parviens-je à articuler.

Il pose les mains sur son bureau et croise ses doigts en s'avançant.

— J'aimerais bien, mais je ne peux pas, me lâche-t-il soudain. J'essaie juste de vous mettre en garde et de vous donner toutes les cartes en main. C'est un poste compliqué, difficile, où vos nerfs vont être mis à dure épreuve. Mais j'ai besoin de quelqu'un, et je veux être sûr que vous vous rendez bien compte de ce que vous vous apprêtez à affronter.

— Ça veut dire que je suis prise ? je m'exclame sans filtre.

Il pousse un soupir, et reprend.

— C'est bientôt les élections, et le gouverneur nous a alloué un budget assez conséquent pour ce projet, histoire de montrer à ses électeurs tout ce qui est mis en œuvre pour la réhabilitation des prisonniers. J'ai ordre de débuter l'expérience au plus tôt, alors...

Il plisse les yeux, m'observe encore une fois, et me lance :

— Vous êtes partante ?

Le grand sourire que j'arbore le laisse à moitié pantois, je crois, mais je suis bien trop heureuse pour me laisser refroidir par sa mine défaite. Bordel, j'ai un boulot !

— Et comment !

— Il y aura pas mal de contraintes, j'aime autant vous le dire, me modère-t-il. A commencer par votre tenue, mademoiselle.

Je baisse la tête vers mes vêtements, un peu perdue. J'ai mis un tailleur strict, marine, et un chemisier blanc, classique, mais visiblement, il n'a pas l'air d'apprécier.

— Il va falloir oublier la jupe, Miss Coleman. Et les talons ? Voire tout ce qui peut être un tantinet trop féminin. Comme je vous l'ai dit, ils n'ont pas vu de femme depuis longtemps, et la moindre marque de féminité pourrait les... intéresser. Vous comprenez ? Je doute que ça suffise, mais le pantalon sera obligatoire. Faites simple.

Je reste un peu interdite mais acquiesce de la tête. Il a sans doute raison.

— Je commence quand ?

Il me fixe quelques secondes, et me tend un stylo en tournant mon dossier vers moi.

— Demain matin, huit heures, si ça vous va. Je vous laisserai une bonne heure pour vous approprier la salle de classe qui vous a été réservée. Vos élèves débarqueront vers neuf heures. Vous déjeunerez à midi avec les gardiens, reprendrez à quatorze heures jusqu'à seize, cinq jours par semaine. Cela vous convient-il ?

Pour toute réponse, je lui tends la main. Il l'observe quelques secondes, avant de la serrer enfin. Un minuscule sourire s'esquisse sur ses lèvres.

— Bienvenue à laprison de Boston, mademoiselle Coleman.

Prison Rules [ sous contrat Editions Addictives ]Where stories live. Discover now