Amare

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Tant de saisons étaient passées depuis qu'il avait accompli ce qui serait, dans les générations futures, la seconde œuvre la plus importante de sa vie. Taehyung avait su que peindre le plafond du palais royal lui assurerait une sorte d'immortalité qui persisterait longtemps après son dernier souffle, après son déclin.

Taehyung avait vieilli. Pas au point d'avoir des rides et des crevasses sur le visage. Mais il avait vieilli au point d'être lassé de la vie, au point d'avoir perdu cet émerveillement qu'il possédait autrefois. Il était un homme mûr, désormais.

Il avait atteint l'apogée de sa carrière. Il avait tout fait, tout vu. Peut-être en avait-il trop vu, justement. Toutes ces années et Taehyung n'avait jamais pu façonner dans le marbre cet « être » parfait qu'il avait tant rêvé de connaître, de voir. Il avait même laissé derrière lui l'idée de le trouver un jour. Il avait avancé, chaque jour, de manière monotone. Son nom grandissait au fur et à mesure qu'il exécutait des commandes quelconque pour les familles nobles.

Après la mort d'Hoseok, après le départ de Yoongi, Taehyung était revenu à la capitale pour peindre le palais royal. Il avait revu son père. Il lui avait fait la promesse de revenir seulement au moment où il se trouverait, mais il doutait de pouvoir accomplir totalement ce but un jour. Il l'avait serré dans ses bras, avait pleuré avec lui et lui avait juré que sa vie dépassait toutes ses attentes.

Il lui avait menti, bien évidemment.

Il n'avait jamais revu Namjoon, ce maître si cher à son cœur qu'il considérait comme un grand frère. Il ne ressentait aucun manque, parce que les deux hommes avaient pris cette habitude d'entretenir une relation épistolaire. Chacune des lettres de son maître d'Hamheung, Taehyung les gardait précieusement dans son petit carnet de cuir brun. C'était étrange, mais il possédait un fragment de son âme entre ses pages reliées fragilement. Il y avait les poèmes d'Hoseok, le seul portrait qu'il possédait de Jimin et toutes les lettres de Yoongi, Namjoon et celui qui fut son mécène.

Yoongi ne reviendrait jamais, Taehyung le savait. Leur amitié, devenue fragile à cause de la distance et des années passées, ne tenait plus qu'à quelques mots écrits à l'encre sur une feuille. Son cher ami était si loin...Taehyung savait qu'il s'épanouissait et c'était sans aucun doute la chose la plus importante qu'il avait besoin de savoir. Ils n'étaient pas sur le même continent et lorsque l'un d'entre eux se réveillait, l'autre s'endormait. Leurs échanges étaient donc rares, peu nombreux, mais d'autant plus importants.

Cela faisait déjà trois années, maintenant, que Seokjin le Magnifique s'était éteint. Ça n'avait pas été si brusque que cela. Peu avant sa mort, il avait fait part à son protégé qu'il sentait peu à peu la vie le quitter. Il avait eu raison, quelques mois après, Seokjin ne se réveilla jamais. Sa mort fut peut-être l'élément déclencheur du déclin d'Haeju. Il était considéré comme un prince, non pas de par son statut, mais de par ce respect et cette grandeur qui avait assailli le cœur de chaque homme ayant eu l'honneur de croiser son chemin. Le royaume avait perdu l'un de ses plus beaux piliers, l'un de ses plus beaux anges.

De même que Seokjin avait senti qu'il se dépérissait, Taehyung ressenti très nettement la même chose. Il avait ressenti, en son for intérieur, cette pente glissante qui l'amenait petit à petit dans les profondeurs abyssales. Il n'allait pas mourir. Mais ce qu'il allait subir, la finalité de cette maladie, était sans aucun doute pire que la mort pour un homme comme lui.

À travailler toute sa vie de ses mains avec acharnement, tentant de prouver au monde entier sa valeur, Taehyung avait fini par souffrir de la goutte. Cette maladie dans laquelle un dépôt de cristaux d'acide urique s'accumulait dans les articulations. L'accumulation de cristaux provoquant des crises inflammatoires douloureuses.

𝐿'𝒜𝓇𝓉𝓂𝑜𝓊𝓇𝑒𝓊𝓍Où les histoires vivent. Découvrez maintenant