Power failure

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Il avait déjà mal au crâne en arrivant. Il avait travaillé à l'usine toute la journée, il avait été noircit par les machines et n'avait pas envie de voir des gens mais les arrières-salles étaient les seuls endroits pouvant lui donner sa dose d'alcool sans qu'il ne se fasse remarquer. Oui, le 18e amendement de la Constitution des États-Unis avait vraiment détruit son quotidien, à son âge et à une autre époque il aurait pu tranquillement consommer son verre mais pas en 1928. C'était pas la bonne année pour avoir 21 ans et pour pouvoir se saouler en paix. Vraiment pas. Et il le savait mais qu'importe.
Comme de très nombreux autres soirs il se dirigea vers chez le barbier qui transformait une fois la nuit arrivée, son petit commerce en refuge pour les addicts de l'alcool. Le barbier était costaud presque gros et portait la moustache, quoi de plus évident pour un barbier? Il avait une bonne bouille et était toujours le premier à accueillir Leo. Il l'affectionnait pour une raison économique cela paraissait évident pour Leo, à chaque fois qu'il venait il laissait des billets alors bon. Mais cette fois Leo ne prit même pas la peine de répondre au salut du corrompu barbier et se posta devant le mur. Sortit du contexte, cela aurait été très étrange... Rester collé au mur à l'admirer sans raison. Oui ça aurait été plutôt bizarre. "Vous n'étes pas très enthousiaste aujourd'hui, pas que d'habitude vous l'étes beaucoup mais bon... Oui! Allez donc boire un coup mon cher" lui adressa le barbier en actionnant une manette cachée faisant que le mur face à Leo se mette à coulisser vers la gauche. Sans réfléchir Leo passa ce seuil et disparut dans le noir et dans le bruit prenant de plus en plus les oreilles. La porte dérrière lui se referma aussitôt bruyamment.

Les escaliers descendus il espéra ne pas trouver trop de monde dans la pièce feutrée. Ce fut le cas, il s'avançait un peu plus et vu uniquement trois quatre habitués qui buvaient, certains avec des filles. En voyant les filles il sourcilla mais se dirigea automatiquement vers le comptoir et s'asseya sur une des chaises hautes dépareillées. L'homme qui distribuait n'eut même pas besoin de lui demander ce qu'il comptait boire. Il lui servit automatiquement un verre de ce qui s'apparentait être une sorte de whisky. Tout ces alcools servis dans les bars clandestins n'étaient pas des alcools venant de sources sûres, mais ou était le problème? Tout ce qui importait était l'alcool lui-même pas la bouteille ni les autres composants. L'alcool c'était l'alcool et il avait le même effet qu'on sache d'ou il vienne ou pas.

Des billets dépassaient du comptoir et Leo déposait des siens de temps en temps. Les autres "clients" faisaient de même mais tout le monde ici était habitué à voir tout l'argent virevolter d'un côté à l'autre et d'une poche à l'autre.
C'est sans aucun doute que Leo était ici le plus jeune mais ça ne le dérangeait pas. Ça dérangeait personne d'ailleurs. Ou plutôt, personne n'était dérangé de rien ici. Tout était autorisé. C'était ça aussi les speakeasy.

Dans sa tête subitement tout s'accélera, il s'embala comme avec la musique et son crâne tomba entre ses bras sur le comptoir. Il avait sûrement assez bu et les usuelles pensées négatives de la nuit se mirent à toquer à son crâne. Il ne voulait pas les laisser l'atteindre, non, mais comment refuser quand les raisonnements les plus mauvais arrivaient à le faire se sentir plus fort. Le grand enfant déboussolé qu'il était encore laissa entrer toutes ces pensées. Il ferma les yeux définitivement et autorisa ces jugements négatifs à l'envahir tout entier.
Elles lui disaient à quel point il n'était pas à sa place et à quel point ses collègues de travail pouvaient être une peine pour lui. C'est pas qu'il les détestait, non, mais c'est plutôt qu'il ne se sentait pas compris par eux. Un peu comme toutes les personnes de son entourage. Personne n'était capable d'être ami avec lui, ça paraissait impossible, vraiment. Et c'est là qu'intervenaient les détestables jugements qui lui martelaient l'esprit disant que c'était de sa faute parce qu'il n'était pas comme il fallait. Parce qu'il n'était pas aimable et encore moins aimant. Il était juste noir, tout aussi sombre que son âme et ses pensées et elles lui répétaient d'ailleurs qu'il ne pourrait jamais recevoir un semblant d'affection pour ce qu'il était. Il était trop incompréhensible, trop obscur pour ça.
De ses noires pensées il réussit à se sortir car une femme mince et les seins presque à l'air lui secouait le bras. Il ne perçut au début pas ce qu'elle lui disait à cause de la forte musique mais il dégagea son bras avec force. Qui lui avait donné l'autorisation de le toucher pensait-il. "Oh mais je voulais jouer avec toi..." lui dit-elle. Elle ajouta "y'a que des vieux là-bas, c'est l'enfer! Toi tu m'as l'air dans la fleur de l'âge, j'ai envie de t'apprendre" elle lui fit un clin d'oeil mais cela ne sembla pas plaire à Leo...

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