II. Le jugement

2 0 0
                                    


                Des pas. On venait me voir. Un, deux, trois... cinq gardes. L'heure devait être venue. Bientôt ils se présentèrent à l'entrée de ma cellule. Il ne s'agissait pas des gringalets qui se chargeaient de distribuer de rares repas ou de vérifier si tous les prisonniers étaient là où ils devaient être. Ceux-ci avaient des cous de taureaux, des poings qui me semblaient être pratiquement de la taille de ma tête et des carrures d'ours. De courtes épées pendaient au côté de chacun d'entre eux mais il me paraissait plus probable qu'ils soient davantage versés dans le combat à mains nues. Cinq gardes. Cinq colosses. On ne laissait visiblement rien au hasard... J'espérais ardemment ne pas avoir à les affronter. S'ils se mettaient en travers de ma route, alors que j'étais désarmée, je n'avais aucune chance. Je ne faisais absolument pas le poids. L'un d'eux s'avança vers moi et comme il prenait la parole je constatai qu'il devait être plus gradé que ses collègues.
                « J'ai pour ordre de vous escorter jusqu'au tribunal de Kendra Kâr. Veuillez vous tenir tranquille.
                – Je n'ai pas l'intention d'essayer de me soustraire à mon jugement. Enfin aurai-je l'occasion de m'expliquer et de prouver à tous que je ne suis en rien responsable de la mort de ce pauvre Valem. »
                Il haussa des épaules, pas franchement intéressé. Prouver mon innocence... Comment ? J'aurais bien pu prouver mon voyage, ma bonne conduite, rien ne pouvait en revanche prouver que je dormais à l'heure où Valem avait été sauvagement assassiné. Que Yuia me vienne en aide, ça s'annonçait vraiment, vraiment mal. Ils ouvrirent la porte de ma cellule et entrèrent. Les fers se fermèrent sur mes poignets et mes chevilles. L'acier froid vint mordre ma chair. Le claquement des verrous me firent sursauter. L'effroi me saisit, je réalisais enfin ce qui m'attendait. Sous des centaines de regards glacés de dégoût, j'allais être exhibée, comme un trophée, empêtrée dans des chaînes qui me rendraient aussi vulnérable qu'un nouveau-né. Ils allaient me huer, m'insulter, et j'allais rester là, face à eux, impuissante, le cœur aussi lourd et dur qu'une pierre, à guetter la moindre once, la trace la plus infimes de compassion en eux... Je déglutis maladroitement. Les larmes me venaient.
                Bousculée par les gardes je repris mes esprits et nous nous mîmes péniblement en marche. Gênée par les fers et leurs chaînes j'avançais lentement et manquais de peu trébucher à chaque pas. Mâchoires serrées, tête haute, je gardai le silence lorsque nous parvînmes à la sortie des cachots. L'aube dardait sur moi de timides rais de lumières qui nous venaient de l'autre bout de la ville, faisant scintiller de petits grains de poussières flottant paresseusement entre deux courants d'air. Les pavés encore plongés dans la pénombre luisaient de rosée. On me conduisit au tribunal.
                Je m'attendais presque à être jugée sur la place publique et n'imaginais en tout cas pas me retrouver dans un bâtiment aussi imposant - j'ignorais même jusqu'ici que Kendra-Kâr disposait d'un tel édifice. Il faut dire que je n'avais jamais eu à m'en soucier auparavant. Si l'attitude des badauds m'avait remonté le moral la vision qui s'offrit à moi une fois les lourds panneaux en bois massifs de l'entrée passés me fit rapidement déchanter. La salle, aussi haute que vaste, avait déjà accueilli une dizaine de miliciens, auxquels vinrent s'ajouter mes gardes, ainsi que divers individus de grande autorité à en juger par leur placement derrière un bureau surélevé, dont aucun n'avait d'air encourageant ou, à défaut, neutre. Je reconnu parmi les personnes placées sur l'estrade celle qui était venue me voir la veille au soir, le scribe, et sa simple vue me fit frémir. Cet homme ne m'inspirait absolument pas.
                Nimar, comme je pouvais m'y attendre, se montra aussi distant que possible et dû visiblement faire un effort pour se retenir de croiser mon regard. Avait-il des regrets ? Commençait-il à remettre son accusation en doute ? Ou était-ce la haine qui le poussait à m'ignorer ? Non, on ne détourne pas le regard de quelqu'un que l'on hait, on savoure sa chute... Ses expressions étaient celles d'un homme torturé, pas d'un homme résolu. C'était déjà ça. Mon regard tomba finalement sur celle qui me semblait être la soeur de Nimar et fiancée de Valem, ex-fiancée à vrai dire. Secouée de sanglots elle irradiait de rage et de douleur et je songeai soudain que Nimar devait être déchiré entre sa foi en moi et la soif de vengeance de sa soeur meurtrie. M'avait-il accusé dans le but de l'apaiser ? Si c'était le cas, irait-il jusqu'à me faire condamner au risque de faire une erreur dans ce seul but ? Rien n'était impossible, je savais que les choses les plus incroyables pouvaient être réalisées par amour d'un être cher.
                Je remarquai alors que Milos était également présent. Mon coeur manqua un battement lorsque celui-ci se tourna vers moi. A ma grande surprise, le jeune homme, bien qu'endeuillé lui aussi, me fit un bref signe de tête et malgré son visage fermé je compris qu'il ne me tournerait pas le don. Un tremblement de soulagement se propagea le long de mon échine.
                « Aujourd'hui aura lieu l'audience de Sináëthin Al'Enëthan... » commença le juge, tandis que Cecil, dans son coin, grattait une feuille de papier de sa plume noire. « Capitaine Nimar, vous avez souhaité vous présenter à cette audience en tant qu'accusateur, au nom de la vérité en êtes-vous certain ?
                – Certain ! » répondit Nimar, fixant intensément le juge.
                « Et vous », reprit le juge en se tournant vers la femme. « Irène, soeur du Capitaine Nimar ici présent, et fiancée de feu Valem. Vous avez souhaité vous présentée à cette audience en tant qu'accusatrice, au nom de la vérité en êtes vous certaine?
                – Oui, lâcha-t-elle dans un sanglot. »
                Le juge se tourna enfin vers Milos.
                « Soldat Milos frère du défunt milicien Valem, contre toute attente, et en vue de votre position, vous avez souhaité plaider en faveur de l'accusée, au nom de la vérité en êtes-vous certain ?
                – Certain. » confirma-t-il en me lançant un regard.
                « Bien. Accusée, avant toute chose, votre demande de témoignage en votre faveur par Sam Timun a été refusée par ce dernier. Nulle autre défense n'est donc prévue que Milos ici présent. Êtes-vous prête à entendre votre jugement et en accepter les conséquences ? »
                J'acquiesçai d'un signe de tête.
                « Puissent les dieux être témoins de la vérité dans laquelle baignera cette audience », conclut-il solennellement.
                « Puissent les dieux rétablir la vérité », conclus-je à mon tour, bien que rien ne requit mon approbation.
                Le juge acquiesça à son tour d'un signe de tête et se pencha sur les parchemins sur son bureau. Il en saisit un avant de reprendre la parole.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Feb 07, 2021 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Mémoires d'un héraut - Recueil de JDROù les histoires vivent. Découvrez maintenant