- Je ne sais pas, vers 19h ? Pourquoi ?

- Pour rien, je vais faire des courses, à ce soir.

Je raccroche, plutôt expéditive cette conversation, mais je ne m'en formalise pas pour autant. Franck a toujours été comme ça, déjà au lycée il était peu loquace, mais depuis toutes ces années, il fait de moins en moins d'efforts. Il faut croire que les ans usent les couples.

J'ai passé la journée à préparer notre soirée de samedi prochain : régisseur, traiteur ... Je suis sûre qu'il ne manque rien, mais je ne peux m'empêcher de penser à cette histoire de sécurité. Je me penche du balcon VIP, et regarde la scène. Ce théâtre est de style baroque et j'aime me retrouver ici pour le contempler, il est hors temps, construit dans ce style par mon arrière-grand-père qui adorait le Roi-Soleil. Il a finalement fait comme son idole, il s'est créé son propre théâtre pour se mettre en lumière.

- Elsa ?

Elle est en train de préparer les éclairages sur scène avec le régisseur et se tourne vers moi.

- Mouais ! Tu pars ?

- Oui, il est 18h, je suis crevée, tu devrais faire pareil...

- Non, je dois finir des trucs avec Antoine.

- Bon à demain !

- Oui, et pitié ! Déstresse !

Je quitte le théâtre et il est en train de pleuvoir, mais la neige n'est pas loin. Vu l'heure, je sais que je vais devoir jouer des coudes dans le métro. Une fois au sec dans les couloirs, on dirait que tout le monde est sorti au même moment, c'est effectivement bien bondé ! Je vais devoir attendre mon tour, si je ne veux pas me transformer en sandwich. Aussi, je prends mon mal en patiente et me place au bout du quai. Je trouve un petit endroit pour consulter mes mails et ne vois pas que quelqu'un vient de me rejoindre sur la droite. Il glisse au sol et me tend un récipient qui fait tinter des pièces. Le temps de me rendre compte que c'est bien pour moi que le geste est délié, je tombe nez à nez avec le chien de ce matin.

- Quoi ? Encore vous ?

Je rentre nerveusement mon téléphone dans mon sac, je n'aime pas du tout ça.

- Vous me suivez ?

- Je ne sais pas où aller alors je voyage dans le métro.

- Donc vous me suivez ? Je vous préviens, si je vous retrouve encore une fois sur mon chemin, j'appelle la police !

Ma voix vient de monter dans les tours et quelques passagers s'éloignent. Son regard devient froid quand il se lève.

Bon OK, il est grand !

- Je ne vous suis pas, je vais où je veux... et...

- Alors, laissez-moi tranquille !

Je me précipite dans la rame en poussant quelques personnes au passage, et lorsqu'elle démarre, je ne le quitte pas des yeux.

***

- C'est super bon, merci, Franck.

- Mais de rien, je voulais te faire la surprise. Un petit poulet basquaise... Encore un peu de vin ?

- Oui merci.

Je le porte à mes lèvres et profite de sa saveur.

- Magnifique, on fête quelque chose ?

- Non rien de spécial, faut-il toujours une occasion pour se faire plaisir ?

- Non, tu as raison.

Et je me penche pour l'embrasser sur la joue avant de retourner à mon assiette.

- Tu sais, il y a un SDF qui m'a suivi aujourd'hui.

- Comment ça ?

J'avale ma bouchée.

- Oui, je l'ai rencontré au départ et ce soir, il m'attendait avant que je ne prenne mon métro pour rentrer.

- Il t'a agressé ?

- Mais non, je ne serais pas si détendue. En revanche, je ne me suis pas gênée pour lui dire de dégager, et d'arrêter de me suivre, sinon j'appellerais la police.

- Tu devrais avoir sur toi une bombe lacrymogène.

- Oui c'est une idée, il faudra que je m'en procure une.

Plus tard, lorsque j'éteins les bougies de la table que Franck avait faite pour nous, je jette un œil à l'extérieur et je constate qu'il commence à neiger. Mes pensées vont tout à coup à cet homme du métro, et malgré tout, j'espère qu'il pourra se mettre à l'abri pour la nuit. Je culpabilise et me demande finalement si je n'y suis pas allée un peu fort...

MB MORGANE - Pari(s) Z [Terminé]Where stories live. Discover now