Chapitre 1

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Au loin. Le boum! assourdi d'un mortier annonça le clou de la soirée. Des milliers d'yeux suivirent la fusée qui monta dans le ciel en tourbillonnant et disparut dans la nuit avant d'exploser en une pluie de rouge et d'or. Une seconde plus tard, les détonations retentirent. Les gens assis au premier rang les sentirent vibrer dans leur poitrine et et poussèrent des hurlements de joie.
Warren sourit dans la lumière aveuglante du feu d'artifice. Aujourd'hui, pour la trente-septième fois, il répétait son petit rituel du 4 Juillet. Les traditions, pensait-il, c'était important pour le bonheur des enfants. Allongé sur le capot de sa voiture de patrouille avec sa femme serré contre lui et ses filles qui s'étaient perchées sur la lampe lumineuse, il ressentit un réel contentement pour la première fois depuis longtemps.
<<Alors, mes chéries, on s'est bien amusées? demande Warren.
- Oui, p'pa!
-C'était génial.>>
Monique se contenta d'un grognement, ce qui fit rire Warren. Sa femme détestait la chaleur, les insectes et le bruit. Mais elle endurait cette tradition année après année, et Warren y voyait une preuve d'amour.
<<Je suis sûre que Brian aurait passé une bonne journée, s'il avait été lâ>>, annonça Kathleen de but en blanc. Monique serra la main de son mari et répondit: <<Moi aussi j'en suis sûre, chérie.>> Warren l'attira contre lui; elle lui tapota la cuisse sans un mot.
La famille Michaels était sur le pied de guerre depuis neuf heures du matin, heure à laquelle les festivités avaient débuté par une reconstruction de la signature de la Déclaration d'indépendance sur les marches de la mairie, suivie d'une parade gigantesque. La parade de Brookfield, qui durait trois heures et s'étendait sur près de cinq kilomètres, avait considérablement gagné en importance au fil des ans, et volait maintenant à celle de Washington une partie de ses spectateurs. Les gens se privaient volontiers du décorum de la capitale au profit d'un bon patriotisme bien de chez eux. Le programme comprenait des démonstrations de cinq compagnies de sapeurs-pompiers venues de trois États différents, et pas moins de huit orchestres de lycéens.
Juste après la parade, se déroulait la Journée traditionnelle des pompiers. Les brigades se livraient une bataille acharnée, se mesurant dans des domaines aussi variés que la conduite des véhicules, le maniement de la lance, la force et même la précision. Le jeune public ne vivait que pour la compétition de tir à l'eau. L'épreuve consistait à abattre trois cibles à l'aide de la lance, tâche beaucoup plus difficile qu'il n'y paraissait à première vue. Au début, les tirs étaient assez imprécis, et les gamins en liesse ( ainsi que leurs parents) se faisaient tremper par des centaines et des centaines de litres d'eau à haute pression. Ensuite venait le carnaval, en même temps que le pique-nique géant. Pendant que le grand huit remuait les estomacs en pleine digestions, on allumait des centaines de barbecue sur le terrain de base-ball. Familles, amis et visiteurs se mêlaient dans une patriotique frénésie culinaire. Les parents ne savaient jamais où étaient leurs enfants, mais quelle importance: à Brookfield, il n'y avait rien à craindre.
On n'avait encore tiré qu'une douzaine de fusées lorsque le bip de Warren se mit à vibrer dans la poche de son short. Agacé par l'interruption, il sortit le petit boîtier- sa laisse, comme il l'appelait- et le tint devant ses yeux. En vert, s'affichaient les chiffres lumineux de son numéro professionnel, suivis de 911, le signal des urgences.
<<Oh, merde, grommela-t-il en dégageant le bras qu'il avait passé autour des épaules de sa femme.
-Qu'est-ce que c'est?
-Je ne sais pas. On vient de m'appeller.
-Oh non, gémit Monique, sincèrement désolée pour lui. Pas ce soir!>>
Warren passa mes jambes par-dessus l'aile avant et se laissa glisser au sol. <<Pour que Jed me dérange pendant le feu d'artifice, il faut que ce soit grave.>>
Warren se faufila rapidement sur le siège avant de la voiture, gêné d'imposer l'éclairage intérieurs aux spectateurs alentour. Il décrocha son téléphone cellulaire, en rabattit le couvercle et appuya sur une touche préprogrammée.
Une voix féminine assez rauque répondit à la troisième sonnerie. <<Police de Braddock County, j'écoute. C'est pour une urgence?
-Salut, Janice, ici Michaels. Que se passe-t-il?
-Oh lieutenant, dit la standardiste, dans une sorte de hoquet. Merci de rappeller. Il y a eu un meurtre au Centre de détention des mineurs. Le sergent Hackner demande que vous veniez immédiatement.>>
Warren se tourna sur son siège et se tordit le cou pour apercevoir la dernière fusée.
<<Écoutez, Janice, je ne travaille pas ce soir. Il n'y aurait pas quelqu'un qui pourrait se charger de ça?
-Je ne sus pas lieutenant. Le sergent Hackner a dit qu'il voulait que ce soit vous et personne d'autre.>>
Warren poussa un profond soupir. Qu'est-ce que ça peut foutre! Se dit-il. De toute façon, la soirée était fichue. Maintenant que sa curiosité avait été piquée, même s'il restait, il serait incapable de savourer la fin du spectacle.
<<D'accord, Janice. Mais si Jed vous rappelle, dites-lui que son supérieur n'est pas content. Et autre chose: il va falloir que vous envoyiez quelqu'un me chercher. Ma voiture est complètement bloquée à Brookfield Park. J'étais venu voir le feu d'artifice.>>
Il était parfaitement contraire au règlement d'utiliser à l'usage personnel une voiture de patrouille. Mais l'incident resterait sans suites, car Warren était déjà bien bon de s'accommoder de cette situation. Dans n'importe quelle juridiction voisine, son poste de numéro un de la section enquêtes et numéro trois sur l'ensemble de la division lui aurait ski sans problème une voiture de fonction banalisée. Mais le budget de Braddock County avait ses priorités, et Warren avait préféré ne pas insister.
<<D'accord, dit Janice. Où faut-il vous prendre?>>
Warren soupira de nouveau. Cela faisait vraiment trop de décisions pour une soirée de détente. <<Je serai à l'angle de Braddock et de Horner. Mais laissez-moi tout de même quelques minutes devant moi. J'ai toute la foule à traverser.
-D'accord. Je leur dirai de vous attendre, dit-elle, comme s'ils avaient le choix. Voulez-vous que je mette votre voiture en immobilisation?>> Visiblement, Janice avait compris que ce serait Monique qui devrait la rapatrier. Autre entorse au règlement.
<<Bonne idée, Janice.>>
Warren referma le téléphone d'un claquement sec et sortit de la voiture pour annoncer la nouvelle à sa femme et à ses enfants.

NathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant