Premier fragment - "L'Espoir bleu" (partie 4)

4 0 0
                                    

- Relève de garde. Rien à signaler ?

- Tout est aussi calme que dans un cimetière. Il était temps que vous arriviez, je piquais du nez. Ça manque d'activité par ici pour rester éveillé.

- Allez prendre du repos, mon vieux. Eh, vous !

Le nouveau garde de nuit regarda dans le dos de son collègue qu'il venait relever. La silhouette dans le couloir s'arrêta et se retourna à demi, la casquette couverte de tâches de suif bien enfoncée sur la tête. Il releva une caisse de métal qu'il portait à bout de bras tout en grognant :

- Y'a une fuite, M'sieur. Les p'tites dames de l'entretien m'ont dit de v'nir. Faudrait pas que ça fasse moisir la maison, sinon j'vais perdre mon travail.

- Détendez-vous, l'ami, soupira le garde relevé, un peu méfiant. Y'a un peuple monstre dans cette baraque rien que pour l'entretenir jour et nuit... en plus il va dans la direction opposée.

- Ouais... circulez, grommela le nouveau venu. Et ne traînez pas trop tard.

- J'ferai d'mon mieux, répondit-il en haussant les épaules et en tournant les talons pour reprendre sa route.

Le garde l'observa jusqu'à ce qu'il tourne à l'angle, quelques mètres plus loin, puis retourna à sa prise de poste.

Oliver poussa un soupir discret tout en continuant son chemin, le pas long, relevant juste un peu sa casquette pour mieux voir sa route. Ses yeux vairons étaient bien trop atypiques pour qu'il laisse quiconque les voir, même par accident.

Il emprunta un escalier annexe, un peu en retrait, qu'il avait pris quand il était enfant et qu'il jouait avec les enfants du personnel d'entretien. Qui de mieux qu'un enfant pour connaître une maison et tous ses recoins les plus intéressants pour s'en faire des cachettes ? Même si cet après-midi de jeu était lointain, Oliver avait gardé ce souvenir bien vif en lui. N'ayant pas vraiment un talent naturel pour l'infiltration et la filouterie, il comptait en partie sur sa chance pour le sauver et le guider.

Une fois l'escalier dévalé, il se faufila dans un dédale de petits couloirs peu empruntés à cette heure tardive. La maison dormait assez sereinement. Les gens de l'entretien s'activaient désormais tout en bas, en cuisine et en salle de réception.

Il s'apprêtait à sortir des espaces de service, mais il s'arrêta brusquement alors qu'un garde circulait. Oliver se plaqua contre le mur du petit couloir, dans l'obscurité, et l'observa s'éloigner. Le sang pulsait jusque dans ses tympans alors qu'il réalisait :

- J'ai été trop lent, la garde a déjà été relevée...

Comment allait-il faire ? Il tendit légèrement le nez pour voir s'il avait la possibilité de se faufiler jusqu'à la porte de la pièce où les artefacts étaient conservés, mais le couloir était trop court et trop bien éclairé pour lui laisser une chance d'y parvenir avant que le garde ne se retourne ou ne le perçoive dans le coin de son œil.

Il déglutit. Ses pensées tourbillonnaient comme un ouragan dans sa tête. Une idée... une idée, vite !

- Alerte !! Un feu !! Que tout le monde vienne aider à l'éteindre avant qu'il ne s'étende dans toute la maison !!

Oliver sursauta et se terra plus loin dans son couloir, pétrifié. Mais il vit le garde en poste dans ce couloir passer devant lui sans le remarquer, en courant, tout comme quelques autres membres du personnel de surveillance à sa suite. Il sentit effectivement une odeur de fumée parvenir à ses narines. L'étage fut bientôt déserté. Le jeune homme resta quelques secondes suspendu, là, dans son étroit passage sombre, complètement incrédule. Ses jambes finirent par le porter nerveusement à la porte tant convoitée, et il vit avec une plus grande incrédulité encore qu'elle était ouverte.

Fébrile, il abaissa la clenche, et se faufila dans la pièce déserte. Il y était. Son cœur ratait des battements tant il avait peine à y croire. Oliver se secoua cependant : il n'était pas encore au bout de ses peines, il devait exploiter le temps qui lui était octroyé par cet événement impromptu pour faire ce qu'il avait à faire. Il dénoua sa corde au bout de laquelle pendait un crochet grappin, pendue jusque là à sa ceinture, sous la veste d'uniforme d'entretien qu'il avait dérobée. D'un pas alerte, il s'avança suffisamment au milieu de la grande pièce pour avoir un bon angle sur le balcon supérieur. Le moindre échec à accrocher sa corde à cet étage était un risque de se faire entendre à cause du fracas du métal sur la pierre.

Le jeune homme mesura précautionneusement la longueur de corde et tourna l'extrémité à son côté, les yeux rivés sur le garde-fou, à quelques mètres au-dessus. Il s'était entraîné d'arrache-pied ces dernières semaines, au point d'en avoir les bras douloureux. Il ne pouvait pas se laisser la possibilité d'une erreur. Pas maintenant que ce mouvement était vital.

Il mobilisa sa respiration pour la calmer, se laissa un instant emporter par le sifflement discret et régulier de la corde qui tournait et fendait l'air, puis expira longuement. Ses doigts lâchèrent la corde précisément au bon moment : le grappin s'envola avec elle dans son sillage et vint s'accrocher fermement au balcon. Oliver tira un peu dessus, pour s'assurer qu'il était bien placé et qu'il ne risquerait rien en l'empruntant, et laissa finalement la corde pendre dans la semi obscurité des abords de la salle.

La sortie était prête.

- Maintenant, le diamant... songea-t-il en pivotant ses jambes.

Il repassa dans la clarté de la lune qui pénétrait par les fenêtres supérieures et inondait la pièce comme autant de puits de lumière. Au centre, bien en évidence, le piédestal du diamant. Aucun dispositif d'alarme. Pas de corde, pas de cloche. C'était presque trop facile. Mais il ne devait pas se laisser aller au point de relâcher sa vigilance. Il posa ses mains de part et d'autre de la cloche de verre et la souleva, non sans grimacer, découvrant son poids considérable.

- Ne pas le faire tomber... ne pas le faire tomber... rumina-t-il derrière ses dents serrées.

Il entendait le tic tac de sa montre à gousset, comme si elle se faisait plus bruyante pour lui rappeler qu'il n'avait pas non plus le loisir de trop s'éterniser. Une fois le verre au sol, Oliver se redressa, le dos endolori, les genoux en compote, les nerfs à fleur de peau.

- Tu le fais pour Chrys...

Il s'approcha, et vit de nouveau l'éclat du diamant s'offrir à ses yeux. S'il était éblouissant sous les fards des éclairages festifs pendant la réception en soirée, Oliver le trouva plus mystérieux et envoûtant maintenant qu'il n'avait que la lumière naturelle de la lune pour apparat.

Son éclat était... hypnotique.

Il vit son visage s'y refléter comme dans un miroir. Tournoyer. L'engloutir, tout entier, comme pour l'attirer à l'intérieur de la pierre.

Vraiment hypnotique...

Sa contemplation béate surnaturelle s'interrompit au son du cliquetis d'une arme à feu, dont le canon s'enfonça avec précision au milieu de sa colonne vertébrale.

Les Portes d'Ys - OriginesWhere stories live. Discover now