XIV

457 59 7
                                    

        Depuis son réveil, Zinaïda cherchait à éviter au maximum la présence du géant brun, légèrement trop intrusif à son goût. Elle passait son temps à courir dans les longs couloirs du château, et s'amusait à escalader les tours de guet pour contempler le paysage. Tristan lui avait expliqué qu'ils étaient à Cheralye, mais dès qu'elle sortait dehors, elle ne voyait que de vaste plaines vallonnées et un petit village, tout riquiqui en contre bas, loin du château, rien à voir avec la ville grouillante de bâtisse à laquelle elle avait été accoutumée depuis sa naissance. Elle avait ainsi compris qu'elle vivait avant son arrivée dans cette époque lointaine, dans le futur de cet endroit, et qu'elle avait donc traversé les couloirs du temps pour rejoindre le passé. Mais elle n'en avait parlé qu'à Tristan. Celui-ci avait noté tout cela sur quelques parchemins qu'il gardait précieusement avec lui et avait affirmé qu'il faisait son maximum pour avancer dans ses recherches. 

Perchée au bord de la grande muraille, le point de vue qui s'offrait à elle était de loin son préféré. Dans le présent, le château n'était que ruine et décombres moussus, impossible d'obtenir un tel paysage. Elle savourait chaque instant devant le fascinant spectacle de cet endroit dépourvu de l'emprunte urbaine moderne. Elle pouvait voir le soleil descendre doucement dans le ciel azuré, teintant délicatement le firmament d'un léger manteau rosé. Il faisait très beau en cette fin d'après-midi, ce qui n'était absolument pas pour lui déplaire car malgré ses ascendances nordiques, elle avait toujours préféré l'astre diurne à la neige et la grisaille. La demoiselle commençait à avoir un peu chaud d'ailleurs, ce qui la mit de bonne humeur. Elle avait revêtu une robe, appartenant à "Blanche" ou plutôt sa grande sœur, bien trop grande pour elle, dont les servantes avaient du refaire tous les ourlets pour ne pas qu'elle se prenne les pieds dedans à chaque pas. Les servantes... Le mot sonnait étrangement dans sa tête. C'est comme si elle vivait une vie de princesse. Elle s'entendait bien avec elles toutes. Surtout avec Agathe, qui s'occupait d'elle avec une dévotion et une gentillesse non feinte.

Elle plaisantait avec elle, mais elle ne lui avait pas révélé sa véritable identité, bien qu'elle se doutait que la jeune femme l'avait déjà percée à jour. Elle avait vite réalisé qu'elle n'avait pas du tout la même façon de parler que les gens autour d'elle et s'empressait d'imiter leur accent et leurs expressions. C'était un exercice difficile, d'autant qu'elle ignorait la plupart des mots que tout le monde prononçait chaque jour devant elle. " Se gausser ", "Choir"... Elle maîtrisait déjà modestement le français courant, celui du Moyen-Âge était encore plus dur à apprendre. Elle devait également faire face à des patois locaux qu'elle avait encore plus de mal à saisir, comme par exemple avec cette bonne femme répondant au nom de Bertha qui lui rendait régulièrement visite. Une véritable mère poule qui devait la prendre pour son œuf mais dont le lexique verbal ressemblait plus à de la bouillie de français qu'à autre chose. Cela l'avait parfois même place dans des situations délicates, provoquées par des quiproquos, des confusions et des malentendus liés au langage lorsqu'elle était confrontée à ces autres personnes employant des mots compliqués. Heureusement pour elle, Tristan assurait la plus part du temps des arrières.

Agathe observait sa jeune maîtresse d'un œil, surveillant ses moindres faits et gestes. Elle ne l'épiait pas pour avoir des informations mais pour agir rapidement si il lui arrivait malheur. Elle avait remarqué que cette enfant était très tête en l'air, toujours distraite et malgré cela, incroyablement vive et spontanée. Qualités qu'elle aurait apprécié si elle ne mettait pas la petite fille en péril à chaque fois qu'elle sortait un pieds dehors. Peu consciente des dangers auxquels elle s'exposait, la petite blonde faisait tout ce qu'il y avait à faire de pire entre ces murs de pierre, au grand désespoir d'Agathe qui courrait toujours partout derrière elle.

Elle avait compris sans grande peine qu'il ne s'agissait pas de la même personne, bien que l'enfant affirmait être Blanche. En fait, la plupart des habitants de la forteresse s'en étaient aperçus mais ne pipaient mot, appréciant malgré tout la fillette pleine de joie de vivre. Sauf un, qui bien évidemment, refusait obstinément d'entendre quoi que ce soit à ce sujet. Leur châtelain était d'une ténacité sans faille, et ce, pour les bonnes comme pour les mauvaises choses. Il soutenait mordicus que la petite fille qu'il avait retrouvé était la version rajeunie de celle à qui son âme s'était enchaînée. Agathe ne pouvait nier la ressemblance presque surnaturelle entre Blanche et cette gamine, mais elles avaient également leurs différences, et la jeune servante avait eu l'occasion de le voir à moult reprises. Mais Guillaume de Cheralye refusait simplement l'évidence. Il s'enfermait dans son mensonge, de peur d'être blessé de nouveau et d'être en proie à ce terrible sentiment d'abandon et de vide, et pour cela, personne ne pouvait le blâmer, ce genre de blessure est bien trop douloureuse. Et, elle savait qu'un seul et unique événement pourrait le faire sortir de ce brouillard de tromperie : le retour de sa véritable bien aimée. 

Le Temps Des Sortilèges - Tome 2 - Le ChoixWhere stories live. Discover now