Partie 2

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8h15, je suis sur ce quai, désespérée. Toujours aucune trace de mon inconnu. Peut-être que je devrais me résoudre à l'oublier. Je ne sais rien de lui, pas même son prénom. Mais son visage est là, je n'arrive pas à m'en défaire...
Mais nos deux corps ce jour-là avaient communiqué, et je ne parvenais pas à me défaire de ce qu'il avait su provoquer comme émotion en moi.

Aujourd'hui la rame de train est presque vide, c'est la période des vacances scolaires. Chose extrêmement rare, je peux m'asseoir. Je m'apprête à me plonger dans mes pensées, en observant la vie qui passe derrière la vitre, quand je sens que quelqu'un prend place à mes côtés... Je lève des yeux incrédules lorsque je m'aperçois qu'il est là, assis à côté de moi.

Je dois certainement rêver, j'ai imaginé ce moment pendant des semaines, je l'ai tant espéré... Et maintenant, il est là, à quelques centimètres de mon cœur.

Ma gorge se noue, et je lui offre un sourire maladroit entre timidité et gêne, j'ai sûrement l'air d'une adolescente. Je suis prise soudain par l'angoisse qu'il méprise ou se rit de mon approche. Mais à mon grand soulagement , il me rend instantanément un sourire franc, comme si lui aussi avait attendu ce moment. Il me demande aimablement

- Vous permettez que je puisse m'asseoir à côté de vous ?
On n'a pas l'habitude de s'asseoir dans ce train."Déclare-t-il sans attendre.

Sa voix est aussi douce que dans mes souvenirs, et maintenant qu'il est face à moi, je peux contempler son visage. Il a quelque chose d'indéfinissable dans le regard, et ses traits sont atypiques, mais je suis incapable de deviner de quel pays il pourrait être originaire.

"Oui, ça nous change de..." J'hésite à terminer ma phrase car elle me renvoie à ce moment sensuel que nous avions vécu au milieu de la foule, et je m'aperçois que je suis gênée d'en parler ouvertement.

"De la dernière fois." Me concède-t-il, avec un sourire malicieux au bord des lèvres, comme si il connaissait parfaitement la cause de mon trouble.

Je lui souris, un brin rougissante, et encouragée, je poursuis : "Vous ne prenez pas souvent ce train n'est-ce-pas?" Pourquoi est-ce-que j'ai dit ça? Il va comprendre que j'ai passé mon temps à le chercher dans la foule. Je baisse les yeux, un peu honteuse de mon aveu.

"Non je le prends tous les jours, mais nous ne devons pas le prendre à la même heure." Puis d'ajouter sur le ton de la confidence, en se penchant légèrement vers mon épaule : "Moi aussi je vous ai cherché."

Lorsqu'il s'est penché vers moi, j'ai senti le souffle sur mon cou, mon Dieu... Tout mon être voulait répondre à ces vibrations qu'il me procure au moindre effleurement...

La gêne peut se traduire de plusieurs façons, mais dans mon cas, j'y fais face par des gloussements incontrôlables. Je tente tant bien que mal de le regarder dans les yeux, jamais un homme ne m'avait autant intimidé. Et bien-sûr, cette fois-ci n'échappera pas à la règle, je pars d'un éclat de rire que j'essaie tant bien que mal de maîtriser. Mais bientôt, il m'accompagnera dans ce rire insensé. Dans cette euphorie mélangeant excitation et gêne on eut dit deux adolescents en plein flirt.

"C'est vrai?" Finis-je par articuler.

"Oui." me lâcha-t-il, sans détourner les yeux.

Son regard noir a quelque chose de touchant, de vrai. Il n'a rien de ces hommes que je croise tous les jours, dont tous les gestes sont protocolés, les traits marqués par le vice et ce sourire lubrique que je déteste tant. Lui, il avait quelque chose d'envoûtant, d'irrésistiblement naturel, loin des artifices que nous subissons chaque jour via les médias.

Son regard surmonté d'épais sourcils avait quelque chose d'hypnotique, d'enivrant. Il semblait prendre le pouvoir sur moi rien qu'avec ses yeux. Une prestance d'homme à la virilité assumée.

"Il faudrait que l'on essaie de le prendre à la même heure alors." lui répondis-je, accrochée à son regard, presque sans savoir ce que je faisais. "Vous êtes là vers quelle heure ?"

Puis d'ajouter, pour me justifier : "C'est tout de même plus agréable, d'avoir quelqu'un avec qui parler pendant les trajets, je trouve ça morose ce silence, vous ne trouvez pas?"

"Oui, je suis d'accord." Me répondit-il dans un sourire bienveillant.

J'ai remarqué qu'il parlait peu au final, mais ses silences, son regard me parlaient d'une certaine manière...

Je vis son regard me quitter pour regarder ce qu'il se passait derrière moi. Une vielle dame s'approchait, d'un pas chancelant vers nous, ils semblaient se connaître. Une femme à laquelle je n'aurais pas prêté attention, maghrébine je suppose, un foulard en tissus grossier posé sur sa tête, et une espèce de longue robe droite. Elle portait un sac de toile qui semblait trop lourd pour elle. Quand elle me vit l'observer, elle sembla soudain gênée et accéléra le pas comme elle pu.

"Assalamou alaykoum" lui dit mon mystérieux inconnu.

"Wa alaykoum assalam" lui répondit-elle furtivement.

J'avais déjà entendu ces mots là, ce sont les mots que les musulmans échangent quand ils se saluent. Oui ils viennent de se souhaiter la paix mutuelle. Donc mon mystérieux inconnu est musulman, bizarre... Je ne m'y attendais pas. Il a ce teint de lait, si agréable à voir.

"C'est ici que je descends" me dit-il, une pointe de déception dans la voix. "Mais demain, j'essaierai de le prendre à la même heure."

"Alors à demain... euh j'ignore votre nom?"

Il se leva d'un bond pour pouvoir sortir avant que les portes se referment, mais eu le temps de me lâcher "Süleyman!"

L'instant d'après, il était sur le quai, comme à notre première rencontre, en train de m'observer jusqu'à ce que le train s'éloigne.

Süleyman... je me répétais ce nom jusqu'à la fin de mon trajet. Et tout au long de la journée. Comment fait-il pour provoquer un ouragan à chaque rencontre. Des discussions qui virent au flirt par de simples regards, des mots pourtant si communs... j'en ai vécu des tas, mais jamais comme ça, jamais avec une telle intensité.

J'ai l'impression d'être au bord d'une falaise lorsqu'il plante son regard dans le mien, j'en ai le vertige. Il est des moments rayonnants de clarté dans une vie, et je viens d'en vivre un. Je me mets à espérer de tout mon être que demain arrive vite. Je l'attends déjà fébrilement. Et brusquement, j'imagine milles et une raisons qui pourraient venir contrarier mon bonheur : une grève, un accident, qu'il soit malade, qu'il ait un empêchement...

Süleyman...Je m'imagine déjà renouveler le contact physique trop bref que nous avions échangé à notre première rencontre. Son souffle chaud, ce seul souvenir me rend malade. Son bassin et son torse dans mon dos, le frisson de me savoir prisonnière, captive de son étreinte. J'en ai déjà des palpitations. Et ce regard, à la fois brut et bienveillant... Entre douceur et virilité sauvage ... J'en suis toute bouleversée...

Dans ses attitudes, on sent une assurance désarmante, comme si les jeux étaient déjà fait. Et je dois avouer que j'aime ça. J'aime sentir que les choses m'échappent, j'aime cette sensation de lâcher prise. Et j'ai très envie de lui plaire. Et pourtant je ne sais rien de lui! Et si il était marié ? Mon Dieu faites que non! Pour une fois que je ressens un sentiment si pur ...

Dans mon lit, je me tourne et me retourne, sans trouver le sommeil. Je suis si impatiente d'être à demain, c'en est presque insupportable comme attente.

Süleyman...

Je me saisis de mon portable, 1h45 du matin, moi qui voulais avoir bonne mine demain, c'est raté. De toute façon, je suis incapable de fermer l'œil. Puis je me trouve soudain une quête à mener, je cherche Süleyman sur Google. Je ne sais pas bien sur quoi je pourrai tomber, mais peut être que j'en saurai plus sur ses origines.

Je tombe sur un article Wikipédia :

Souleymane le Magnifique, sultan illustre de l'Empire Ottoman. Un homme connu pour sa sagesse, et ses conquêtes. Connu aussi pour avoir épousé une esclave de son harem, fait révolutionnaire pour l'époque, Roxelane, à qui il voua un amour inconditionnel jusqu'à vouloir être enterré à ses côtés... Un sultan... C'est exactement ce qu'il est pour moi...

Le dernier trainWhere stories live. Discover now